James Ehnes
James Ehnes

Stimulé par le jeu sublime du prodigieux violoniste manitobain James Ehnes et par l’enregistrement du concert par la Société Radio Canada, l’Orchestre symphonique de Winnipeg a ébloui l’auditoire par une des ses plus belles prestations sous la direction de son directeur artistique Alexander Mickelthwate.

À 37 ans, James Ehnes, l’enfant prodige de Brandon, se classe déjà comme l’un des plus grands violonistes de notre temps. Il a interprété le Concerto pour violon et orchestre du compositeur arménien Aram Khatchatourian. Ce concerto s’enracine dans le folklore arménien: danses populaires aux airs et rythmes entraînants et mélodies poétiques au lyrisme parfois mélancolique des ashugh (troubadours et ménestrels arméniens).

Doté d’un talent naturel exceptionnel (il a fait ses débuts avec l’Orchestre symphonique de Montréal à l’âge de 13 ans)  Ehnes a joué cette oeuvre réputée d’une grande difficulté technique avec une incroyable facilité. Il lui suffit de quelques mesures pour nous séduire. Il fait chanter toutes les notes avec une justesse impeccable et une sonorité cristalline sur toute la tessiture de son instrument, le Stradivarius “Marsick” de 1715, prêté par la Fulton Collection. Son geste est très sobre: il ne fait rien qui puisse nous distraire de l’écoute. Nul besoin d’expression corporelle, la musique parle d’elle-même, exprime toutes ses émotions.

L’orchestre a bien joué son rôle de faire valoir du violon solo. Il a créé à merveille les ambiances pour chacun des mouvements: invitation joyeuse et entraînante à la fête et à la danse au premier mouvement, rêverie poétique au caractère rapsodique introduite par un superbe solo de basson (Alex Eastley) au second mouvement, et reprise énergique de la danse dans un rythme endiablé pour le mouvement final.

En rappel Ehnes a donné une exquise interprétation du troisième mouvement de la Sonate pour violon solo no 3 de J. S. Bach, qui nous a permis d’apprécier encore davantage la pureté de sa musique.

En deuxième partie, Alexander Mickelthwate a dirigé une une remarquable exécution de la monumentale Symphonie no 1 en do mineur, op. 68, de Johannes Brahms. Perfectionniste à l’extrême, Brahms a mis une vingtaine d’années à concevoir la première de ses quatre symphonies. À compter de 1873, c’est dans l’angoisse et le doute qu’il a travaillé pendant trois ans à compléter son oeuvre, effectuant des corrections et des ajustements jusqu’à la première exécution publique en novembre 1876.

La symphonie, comme le premier roman d’un écrivain, a un certain caractère biographique. Dans un premier mouvement  lourd et sombre, Brahms semble évoquer les angoisses, les doutes et les déceptions qui ont marqué sa vie jusque là. Ensuite il se remémore avec mélancolie le romantisme et les rêves inassouvis de sa jeunesse dans le deuxième mouvement.  Une joyeuse pastorale jouée par les bois ouvre le troisième mouvement où Brahms semble avoir enfin trouvé sa voie: citant plusieurs fois Beethoven, il affirme sa liberté et son refus de se plier à la mode du temps. Brahms assume son passé difficile, affirme son attachement au romantisme classique et donne libre cours à toute sa puissance créatrice dans le mémorable quatrième mouvement, exprimant sa jubilation dans une transcription du célèbre Hymne à la joie de Beethoven.

L’orchestre a joué à merveille. On sent que quelque chose a changé au sein de l’orchestre en ce début de saison. Mickelthwate dirige avec une gestuelle beaucoup plus sobre et semble communiquer davantage avec les musiciens. Ces derniers jouent avec plus d’entrain et s’expriment plus librement. La sonorité est riche et mieux équilibrée. L’interprétation a du mouvement, de beaux phrasés, de la couleur et de l’émotion. L’intérêt a été soutenu tout au long des quelque 45 minutes que demande l’exécution de l’oeuvre. Le jeu des cordes était superbe.  Gwen Hoebig a excellé dans les solos de violon. Le son des cuivres était clair et juste. Le solo de cor du dernier mouvement a été joué avec beaucoup de sensibilité par Patricia Evans.

Il est inévitable de faire un rapprochement entre ce concert et celui de mars 2013, où le chef invité  Miguel Prieto a dirigé la Symphonie no 3 de Brahms, qui fut considéré par plusieurs comme un des plus beaux concerts de l’OSW au cours des dernières années.  La comparaison s’impose d’autant plus que comme Prieto, Mickelthwate a donné un rappel, choisissant la Danse hongroise no 1de Brahms alors que Prieto avait opté pour la no 5. Si Mickelthwate s’était senti défié par la prestation mémorable de l’orchestre sous la direction de Prieto, il a relevé le défi avec succès.

Il y a eu une remarquable amélioration acoustique pour ce concert. Est-ce le retrait de panneaux du plafond de scène du côté des basses qui a permis d’empêcher les distorsions du son dans les fortissimos? Il faudrait vérifier si cela améliore effectivement le son lors des prochains concerts.

On pourra entendre ce concert sur le réseau national de CBC Radio 2 à l’émission In Concert le dimanche 20 octobre à 11 h et par la suite sur le site Concerts on Demand à l’adresse http://music.cbc.ca/#/concerts/?br=1&page=1&q=&genre=223&f=

 

 

Orchestre symphonique de Winnipeg
Salle de concert du Centenaire, Winnipeg,  le 5 octobre 2013
Alexander Mickelthwate, chef
James Ehnes, violon

Concerto pour violon et orchestre      Aram Khatchatourian
Symphonie no 1 en do mineur, op. 68       Johannes Brahms