Le Musée canadien des droits de la personne a récemment annoncé de grandes découvertes archéologiques réalisées lors de fouilles sur son site de construction. Mireille Lamontagne, diplômée en muséologie et archéologie et employée du musée, fait le point.
400 000. C’est, approximativement, le nombre de pièces qui ont été découvertes lors de fouilles réalisées sur le site du chantier du Musée canadien des droits de la personne. Un chiffre révélé au cours de l’été dernier et qui a de quoi donner le vertige.
Les artefacts sortis de terre permettent aux historiens de remonter dans le temps, jusqu’aux années 1100 et 1400 de notre ère. « 13 000 tessons de céramique, 191 foyers de feu de camps, 200 outils en pierre, 50 outils en os fin… », énumère la gestionnaire de la programmation éducative au Musée canadien des droits de la personne, Mireille Lamontagne.
Au total, 30 à 40 personnes ont effectué les recherches qui se sont déroulées en deux phases dans un espace de 150m², entre 2008 et 2012. Véritables courses contre la montre, ces fouilles, dites d’atténuation, visaient à limiter les effets de la construction du musée et sauver tous les trésors archéologiques qui pouvaient l’être. Elles ont donné lieu à deux rapports, d’un total de 500 pages, analysés par Mireille Lamontagne.
« J’ai vraiment été surprise en les lisant, indique-t-elle. Ce qu’on a trouvé est très, très important. Les artefacts sont tellement riches qu’on pourrait faire des études dessus pendant 20 ans ! »
Convergence de traditions
Si le site de La Fourche est bien connu pour avoir été un carrefour où se rencontraient différents peuples au cours de l’histoire, les récentes découvertes apportent un éclairage nouveau. « Ce que les pièces retrouvées nous indiquent, c’est que soit les gens qui habitaient là entreprenaient l’agriculture, soit ils faisaient du troc avec d’autres groupes qui maîtrisaient cette technique », explique Mireille Lamontagne. Jusque-là, aucune fouille à La Fourche n’avait apporté de preuve tangible concernant une quelconque connaissance en matière agricole. Cette trouvaille revêt une importance capitale quant aux informations qu’elle donne sur les Premières Nations et le regard qu’a porté l’homme blanc sur ces peuples. « On a eu tendance à parler des Autochtones comme des sociétés non sophistiquées, nomades », souligne-t-elle.
Autre trésor découvert, des dessins réalisés sur des pièces en céramique, ainsi que sur une pipe. Ces décorations mélangent plusieurs traditions issues de peuples des plaines et des forêts. « On pense que les femmes partaient du village pour aller se marier avec quelqu’un à l’extérieur, emportant avec elles leurs traditions culturelles, tandis que les hommes restaient sur place », avance Mireille Lamontagne.
Parallèlement, la concentration de matériel retrouvé après avoir creusé jusqu’à trois mètres montre une intensification de l’utilisation du site de La Fourche. « Cela indique qu’il a aussi été un lieu d’habitation, en plus d’être un carrefour de rencontres et de cérémonies. C’est une place où il y avait une convergence des traditions », affirme la diplômée en muséologie et archéologie.
Garder la collection au Manitoba
Reste maintenant une question : que vont devenir tous les objets découverts? Comme les fouilles ont été réalisées en deux phases, une partie des artefacts appartient à la Province et l’autre au Musée, donc au fédéral. « Mon but est de faire en sorte que la collection ne soit pas dispersée et qu’elle reste au Manitoba », affirme, d’emblée, Mireille Lamontagne. Actuellement, le fédéral et le provincial sont en négociation sur ce sujet, et « c’est la première fois que le fédéral négocie avec une province pour conserver les découvertes dans la province où elles ont été déterrées », insiste-t-elle.
Il y a cependant peu de chances que les pièces finissent au Musée canadien des droits de la personne, qui est plus un lieu d’idées que d’exposition d’objets historiques. « Ce n’est pas notre mandat de préserver des artefacts », reconnaît Mireille Lamontagne.
Une des solutions pourrait être le Musée du Manitoba qui pourrait les reprendre dans 25 ou 50 ans. « Mon rêve serait de travailler ensemble avec le Musée du Manitoba, le Musée canadien des droits de la personne et les aînés autochtones », glisse l’experte. Ces derniers sont, en effet, d’une aide extrêmement précieuse pour décrypter les objets : leur tradition orale est telle qu’ils sont capables de raconter l’histoire de chaque pièce découverte. Ou comment l’histoire orale rencontre l’histoire physique de l’archéologie, donnant vie à des objets inertes vieux de plusieurs siècles.