Par Manella VILA NOVA 

Larry Paetkau a appris ses premiers mots de français à l’âge de 25 ans. Le 30 juin, l’enseignant au Collège Pierre-Elliott-Trudeau a pris sa retraite, après avoir enseigné 32 ans, dont 31 en école d’immersion. En chemin, il est devenu francophone.

Le parcours de Larry Paetkau est pour le moins atypique. Né dans une famille mennonite en Alberta, il se destine tout d’abord à devenir pasteur. Cependant, après un stage en Uruguay, il se rend compte que ce choix ne lui convient pas. « J’avais étudié la théologie, et j’ai vite réalisé que j’étais trop curieux pour m’en tenir à la théologie de mon église. J’avais fait beaucoup de théâtre à l’école, alors j’ai décidé de continuer là dedans et je suis rentré en théâtre à l’Université de Winnipeg. Mais acteur, c’était un intérêt, pas une passion. »

À ce moment, une amie l’invite à lui rendre visite au Québec. Ce voyage changera sa vie.  « Je suis tombé amoureux de l’endroit et de la langue. Je travaillais dans une ferme laitière en Beauce. J’ai grandi dans une ferme, alors je savais quoi faire même si je ne parlais pas la langue. Je mangeais avec la famille, qui avait des enfants. C’était la meilleure façon d’apprendre la langue, et je l’ai vite maîtrisée. »

Il s’inscrit ensuite dans le programme de français pour non francophones de l’Université de Laval pendant 8 mois. « Je n’avais jamais étudié le français à l’école. Je ne pouvais même pas compter. Mais je parlais allemand, parce que j’ai passé deux ans en Suisse après le secondaire. J’avais étudié le grec classique et j’étais allé en Uruguay, donc je comprenais le fonctionnement des langues. Par la suite, j’ai suivi des cours intensifs de mandarin lors d’un séjour d’un an en Chine. À la fin de mon séjour au Québec, j’avais perdu l’espagnol au profit du français. »

À son retour, Larry Paetkau rejoint le programme de littérature de l’Université de Winnipeg où il rencontre sa femme venue du Québec pour apprendre l’anglais. « Elle était dans le programme d’éducation, et ça a un peu influencé mon choix. Nous étions le premier groupe à avoir la chance de pouvoir suivre la formation à l’Université de Saint-Boniface. »

À la tête d’une famille exogame, ils choisissent d’élever leurs deux filles, Elise et Claire, en français. « On ne les obligeait pas à parler français à la maison. La seule exigence était de finir une conversation dans la même langue que celle dans laquelle on l’avait commencée. Cependant, nous avions déjà développé la communication en français pour que je m’améliore. Nous avions des livres et des films pour enfants en français. Je leur ai même lu Harry Potter en français. Avoir cette série dans les deux langues était un avantage, ça ajoutait une nuance et donnait un autre niveau de compréhension. »

Inscrites en garderie francophone, elles continuent leur parcours à la Division scolaire franco-manitobaine (DSFM). « Il y a environ dix ans, j’ai reçu un appel de la DSFM pour savoir si je parlais français avec mes enfants à la maison. J’ai trouvé les questions farfelues, alors j’ai répondu en blaguant. Quand ma fille aînée a commencé à l’École Taché, on a eu un appel de l’administration pour savoir pourquoi elle ne parlait pas. En fait, ils l’avaient placée dans la classe d’accueil pour les ayant-droits en pensant qu’elle ne parlait pas français. J’ai trouvé ça triste qu’ils fassent un jugement sans demander juste parce que le nom de famille était mennonite. »

Mis à part cet incident, l’enseignant retraité s’est toujours senti accepté et intégré à la communauté francophone. « J’étais au conseil d’admi – nistration de la garderie de mes filles. Nous allions au Cercle Molière, au Festival du Voyageur et aux concerts en français régulièrement. La seule distinction était que beaucoup de nos amis franco-manitobains allaient à l’église. L’histoire du Manitoba fait qu’ils y accordent beaucoup d’importance, je le comprends bien. Mais je ne suis pas catholique, et les Québécois n’ont pas cet attachement à leur église. »

Quand il a appris qu’il était à présent considéré comme francophone en raison de l’adoption de la Loi 5 par la Province, Larry Paetkau était tout d’abord surpris. « J’ai protesté à plusieurs reprises les termes exogames et ayant-droits. Je suis content du changement, pas pour moi personnellement mais pour mes filles et la communauté francophone. C’est une question de survie : si on peut accepter les gens qui ne sont pas nés avec un nom français et montrer que les Campbell ou les Paetkau font aussi partie de cette commu – nauté, ça garantit son succès et sa préservation au Manitoba. Cela permettra aussi une meilleure intégration des nouveaux arrivants originaires de pays francophones. »

Larry Paetkau estime être « une bonne représentation de la vision de la famille que Pierre Elliott Trudeau avait en 1978. Je suis un Albertain de la campagne. Ma femme vient du Québec, nous habitons dans les Prairies et mes filles parlent le français manitobain. Nous représentons le Canada. Ça ne m’a jamais semblé curieux d’utiliser les deux langues quotidiennement. J’ai toujours considéré qu’être Canadien, c’est être bilingue. »

 

Qui peut se dire francophone?

La Loi 5 adoptée à l’unanimité par les députés manitobains le 30 juin 2016, intitulée Loi sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine, définit la « francophonie manitobaine » de la manière suivante : Communauté au sein de la population manitobaine regroupant les personnes de langue maternelle française et les personnes qui possèdent une affinité spéciale avec le français et s’en servent couramment dans la vie quotidienne même s’il ne s’agit pas de leur langue maternelle ».