Par Valentin CUEFF 

Rendus public le 2 août dernier, les chiffres du recensement 2016 de Statistique Canada révèlent un pays à la diversité linguistique croissante, dans lequel le français apparaît en déclin. De nombreux organismes francophones, comme la Fédération des communautés francophones et acadienne, se sont alarmés du recul de la langue officielle dans la plupart des Provinces. « Nous ne sommes pas là où nous devrions être en 2017. (…) Pour qu’on puisse encore parler de dualité linguistique dans 20, 30 ans, il faut donner un coup de barre majeur », a déclaré Jean Johnson, président de la FCFA, le matin même de la publication du recensement. Dans le même temps, le taux de bilinguisme anglais-français n’a jamais été aussi haut. Réactions.

JACQUELINE BLAY, présidente de la Société de la francophonie manitobaine

« Aujourd’hui, nous avons les outils entre les mains »

La baisse du nombre de personnes qui ont le français pour première langue ne surprend pas la présidente de la Société de la francophonie manitobaine (SFM). « Il fallait s’y attendre. On a vu les tendances dans le rapport de l’Université de Saint Boniface des États généraux. On a vu qu’en dehors de l’école, c’est difficile de parler français et de maintenir sa culture. Donc quand je vois les résultats du recensement, je me dis qu’on aurait pu faire pire. »

Elle souligne notamment l’importance de la venue d’une « vague d’immigrants franco – phones depuis 2011 » au Manitoba : « Plus on aura d’immigrants francophones, plus on pourra contenir les ravages de l’assimilation. »

Sur les méthodes à adopter pour pallier ce recul de la langue française, Jacqueline Blay réaffirme sa confiance dans les plans d’action votés à la SFM : « Il est vrai que le moment est critique. Mais aujourd’hui, nous avons les outils entre les mains. Nous avons un plan stratégique communautaire adopté à l’unanimité en octobre 2016; il nous suffit de le mettre en oeuvre. »

Elle ajoute que le combat contre l’assimilation est la responsabilité de tous. « On pourrait faire tous les efforts pour contrer l’assimilation; si individuellement, et au sein des familles ou de la communauté dans son ensemble, ces efforts ne sont pas déployés, on travaille dans le vide. C’est au sein de la communauté que les choses se passent. »

BERNARD BOCQUEL, éditorialiste

« Le bilinguisme fait freiner l’assimilation »

Les lecteurs assidus de La Liberté savent que le bilinguisme est l’un des thèmes chers à notre éditorialiste Bernard Bocquel. Face aux chiffres du recensement, le journaliste salue la « volonté du bilinguisme » observée à travers le Canada.

En 2016, près d’un Canadien sur cinq a déclaré connaître les deux langues officielles. Bernard Bocquel note « une évolution intéressante dans les mentalités, qui est l’expression d’une volonté d’ouverture » : « C’est réjouissant parce que de plus en plus de gens croient au projet bilingue. On va vers l’unité canadienne telle que pensée par la Loi sur les langues officielles. »

Cet effort de bilinguisme est, selon lui, le rempart le plus efficace contre l’avancée de l’anglais. « Lorsqu’on tient à un bilinguisme officiel, on tue l’assimilation. En d’autres termes, le bilinguisme fait freiner l’assimilation. Et c’est ça qu’il faut encourager. De cette façon, le français ne sera plus seulement une plus-value mais une partie intrinsèque, essentielle du projet canadien. Parce qu’à partir du moment où le bilinguisme progresse, il devient essentiel d’avoir des espaces pensés pour être vécus en français. »

« Le bilingue, c’est le métis canadien. Celui qui ne souhaite pas rentrer dans une boîte, anglophone ou francophone. Il a dépassé les notions de majoritaire et minoritaire, pour développer une autre manière de penser. »

PAUL BROCHU, professeur de sociologie à l’Université de Saint-Boniface

« Le nombre de personnes parlant français importe moins que la qualité »

Paul Brochu insiste avant tout sur la distinction entre l’usage d’une langue (ici le français), et une identité culturelle (être francophone) : « Il y a de moins en moins de francophones? Non : il y a de moins en moins de Canadiens qui parlent le français à la maison. On mélange là un fait avec une définition de la francophonie.

« On ne demande pas à ces personnes comment elles se définissent, mais la langue qu’elles parlent. On ne peut pas définir l’identité par rapport à une définition technique. Quelqu’un peut parler sept langues et s’identifier dans une culture en particulier. »

Selon le sociologue, si l’on prend en compte la diversité linguistique du pays, avec une immigration non-francophone en hausse, le recul de 0,7 % de personnes déclarant le français comme première langue parlée à la maison, n’est pas aussi dramatique qu’on voudrait le croire. « Statistiquement, ce n’est pas énorme. Si vous comparez cette proportion à celle des Canadiens qui parlent plus d’une langue à la maison (augmentation de presque deux points en cinq ans, ndlr), le français s’en tire bien. »

Plus que les nombres, pour le professeur, c’est l’éducation qui est au coeur du problème.   « Le problème principal du français ici, ce n’est pas la quantité de personnes qui parlent le français, c’est la qualité de la langue. La vraie question n’est pas de remplir les classes et le nombre de personnes qui parlent français; c’est d’enseigner la langue d’une façon correcte, leur permettant ainsi de définir un rapport au monde et un rapport à soi à partir de cette langue. »

 

EN CHIFFRES

Au niveau national, les statistiques révèlent une baisse de la proportion de personnes dont le français est la langue maternelle (1) : 21,3 %, en 2016, contre 22 % en 2011. À la maison, même recul, avec une baisse de 0,5 points en cinq ans. La proportion de Manitobains qui ont déclaré le français comme langue maternelle a baissé, passant de 3,5 % (2011) à 3,2% (2016). Ce qui représente 40 430 personnes au Manitoba. Le nombre de Manitobains qui emploient le français à la maison a légèrement reculé, de 21 560 personnes (en 2011) à 21 180 (en 2016). Bien que le pourcentage de personnes se déclarant bilingues français-anglais dans la Province ait stagné (8,6 %), dans les faits, le nombre a augmenté, passant de 103 145 Manitobains en 2011 à 108 475 en 2016.

(1) « Langue maternelle » désigne selon Statistique Canada la première langue apprise à la maison dans l’enfance et encore comprise au moment du recensement.