Alors que, dès ce lundi 2 octobre 2017, l’enlèvement des ordures ménagères et des déchets recyclables est confié à deux nouveaux sous-traitants de la Ville, GFL Environmental Inc. et Miller Waste Systems Inc. (1), La Liberté s’est intéressée à cet univers sombre et malodorant qu’est le contenu de nos poubelles.

Par Barbara GORRAND

Imaginez la scène. Vous venez de finir votre café « double double ». Vous êtes face à deux poubelles, l’une pour le recyclage, l’autre pour les déchets. Et face à un dilemme : la tasse en carton, d’accord, au recyclage. Mais le couvercle en plastique? Poubelle bleue ou poubelle grise? Après tout, le plastique reste un sujet de controverse. Dans le doute, vous le jetez dans la poubelle normale.

Et vous avez faux, sur toute la ligne. « À l’heure actuelle, le couvercle en plastique est recyclable, mais pas les tasses jetables de café qui ne sont pas vraiment en carton, mais faites d’un matériau composé, détaille Mark Kinsley, superviseur de la gestion des déchets à la Ville de Winnipeg. Et c’est un gros souci, toute l’industrie travaille sur ce sujet parce qu’il y en a tellement, des tasses de café! »

“Jusqu’en 1995, on comptait uniquement sur la bonne volonté de chacun”
Mark Kinsley, superviseur de la gestion des déchets à la Ville

Compliqué? Et encore, ce n’est que le début. En matière de tri sélectif, Winnipeg en est à ses balbutiements. « Jusqu’en 1995, on comptait uniquement sur la bonne volonté de chacun. Ce n’est qu’à partir de cette date que la Ville a commencé à mettre en place un système de ramassage collectif », poursuit Mark Kinsley.
Un processus qui a mis longtemps à trouver son rythme de croisière. En 2009, avec un taux de recyclage de seulement 15 %, les Winnipégois figuraient parmi les plus mauvais élèves du pays.

Paradoxal, quand on sait que Leaf Rapids, pourtant située au Manitoba également, a par exemple été la première ville du Canada à bannir l’usage des sacs en plastique dès 2007. Pas étonnant que le système winnipégois ait mauvaise réputation.

D’ailleurs, quiconque venant s’installer ici en provenance de Vancouver, Toronto, Halifax – car il n’existe aucune politique nationale de recyclage – et souhaitant s’enquérir des pratiques locales se verra répondre, au moins une fois sur deux : « De toute façon trier ici ne sert à rien, les camions jettent tout au même endroit, la décharge de Brady. »

Le site de la décharge de Brady.

Petit tour à la décharge de Brady

Il suffit de se rendre sur place, au sud de la ville, pour ajouter à la confusion. Le site d’enfouissement, ouvert en 1974 sur une surface de 2 200 hectares, dispose d’une durée d’exploitation estimée encore à une centaine d’années. Et effectivement, les mêmes camions qui viennent enlever les poubelles de recyclables devant chez nous s’y lancent les uns derrière les autres à l’assaut de l’impressionnante montagne de déchets, pour y déverser leur contenu. Alors, trier ses ordures à Winnipeg, est-ce vraiment utile?

« C’est une idée fausse très répandue, ajoute encore Mark Kinsley, le Monsieur Propre de la Ville. En réalité, pour des raisons de maîtrise des coûts, nous autorisons les deux sous-traitants à utiliser les mêmes camions pour ramasser les ordures ména – gères et le recyclable. Seulement, ils font deux tournées : l’une le matin pour les poubelles grises, l’autre l’après-midi pour les poubelles bleues. Lesquelles ne sont pas jetées à Brady, mais apportées au centre de recyclage des matériaux, le Material Recycling Facility, qu’on appelle plus facilement le Murf ».

“Le carton peut atteindre
200 $ la tonne,
l’aluminium, 2 000 $ la tonne.”
Bill Waddell, vice-président des opérations chez Emterra Prairies

Ah ah! Il existerait donc bien un centre de traitement à Winnipeg? Eh bien oui. Le site, ouvert en 2003 et modernisé en 2013, est géré par le groupe Emterra. Il traite les déchets recyclables de la capitale provinciale et des villes des environs. Soit entre 200 et 240 tonnes de déchets chaque jour qui sont triés mécaniquement et manuellement, et 56 000 tonnes chaque année pour la Ville de Winnipeg uniquement.

Dans cet environnement bruyant et, il faut bien le dire, assez poussiéreux, 70 personnes se relaient le long des tapis-roulants pour affiner le tri qui aurait échappé aux machines à infrarouge ou aimantées qui dirigent les déchets vers leur seconde vie. Ici, les canettes en aluminium qui, une fois compactées, se vendront à la tonne au Kentucky ou en Louisiane. Là, les ballots de polytéréphtalate d’éthylène (ou PET, pour les intimes), en partance pour le Québec. Un peu plus loin, les montagnes de papiers journaux qui sont souvent transportés jusqu’en Chine…

« C’est comme une bourse, la destination des produits finis change en fonction des marchés, détaille Bill Waddell, viceprésident des opérations chez Emterra Prairies. Le carton peut atteindre 200 $ la tonne, l’aluminium, 2 000 $ la tonne. »

Reste que tous les déchets ne sont pas tous recyclables. C’est là qu’intervient à nouveau Mark Kinsley : « Les déchets de construction, la peinture, l’électronique, les batteries de voiture, les huiles usagées, le propane, tout comme tous les appareils ménagers contenant du fréon, le béton, la céramique, les pneus… Ces différentes classes de matériel sont récupérées par différentes compagnies privées, soit qu’elles aient répondu à un appel d’offres, soit que le contrat ait été mis en place par la Province. Et c’est justement pour aider les habitants à mieux trier que nous avons mis en place les dépôts 4R (réduire, réutiliser, recycler, recommencer) qui permettent aux résidents de venir déposer leurs déchets. »

Le premier des dépôts 4R a d’ailleurs ouvert en février 2016 sur le site d’enfouissement de Brady. Pratique, mais encore faillible car le système repose encore une fois sur la bonne volonté de chacun. Un exemple : une lampe qui ne fonctionne plus, dans quelle benne la jette-ton? Il y a du verre, du fer… Bien souvent, ces objets hybrides finissent donc dans la benne du tout-venant, au bout du parcours, moyennant le paiement de 15 $. Le prix de la tranquillité d’esprit.

« C’est vrai, l’ensemble du système est encore perfectible, acquiesce Mark Kinsley. Pour que le système fonctionne, nous misons sur la facilité. Si nous compliquons trop la tâche, les Winnipégois feront-ils l’effort? C’est aussi pour ça que nous n’avons pas de poubelles spéciales pour le verre et que nous le laissons avec le reste du recyclable. À l’issue, une fois broyé au Murf, il contient forcément une part de déchets ce qui fait qu’il ne peut être vendu que comme un agrégat, utilisé par exemple dans la réfection des routes. Mais il ne peut pas être réutilisé par l’industrie du verre. »

Mark Kinsley, comme toute la chaîne du recyclage à Winnipeg, sait pertinemment qu’il travaille surtout pour les générations à venir. « Il faut continuer à éduquer les nouvelles généra – tions aux bénéfices du recyclage, sur l’impact positif que cela a sur l’environnement. Pour que cela devienne une deuxième nature chez eux, qu’ils trient sans même avoir besoin d’y réfléchir. »

En attendant, s’il ne devait y avoir qu’une paire de règles à respecter par tous en matière de recyclage, c’est de ne jamais jeter de sacs en plastique ni de textiles dans les poubelles bleues. Et de penser à rincer les contenants en verre ou en aluminium avant de les mettre au recyclage.

(1) En octobre 2016, le conseil municipal de Winnipeg a approuvé le nouveau contrat pour l’enlèvement des ordures ménagères et du recyclable. Le précédent appel d’offre avait été remporté par Emterra et Progressive Waste Solutions.


Les chiffres du recyclage en 2016

• La Ville de Winnipeg a enregistré un taux de recyclage de 32,9 %, soit une hausse de près de 20 %par rapport à la mise en place de sa stratégie de gestion des déchets recyclables, en 2011.

• Les services d’enlèvement des poubelles ont ramassé 274 kg de déchets ménagers par habitant (- 22 %par rapport à 2011) et 75 kg de déchets recyclables par habitant (+ 17 %par rapport à 2011). La palme revenant aux déchets compostables, qui ont connu une hausse de 221%dans le même temps.

• La taxe sur l’enlèvement des déchets, de 56 $ par ménage, a rapporté 11,4 millions $. Les contrats passés avec les sociétés privées d’enlèvement ont coûté 7,7 millions $ (déchets ménagers) et 4,9millions $ (déchets recyclables).