Avec près de 20 millions de tonnes produites l’an dernier, le Canada est le plus grand producteur de canola au monde. Face à l’enjeu économique que représente cet oléagineux, le gouvernement fédéral ne lésine pas sur les moyens alloués à la recherche, menée dans un laboratoire au cœur de Winnipeg.

Par Barbara GORRAND

Ah, faire son épicerie… Chaque nouvel arrivant a un jour été confronté à cette épreuve, qui consiste à déambuler, l’âme en peine, dans les rayons d’un supermarché, en quête désespérée d’un repère familier à mettre dans son panier. Pour certains, c’est ce bout de « vrai » fromage qui concluait les repas dominicaux. Pour d’autres, cette épice particulière qui permettait de réussir à coup sûr une recette de grand- mère. Et pour d’autres, plus prosaïquement, la nostalgie peut faire son apparition au rayon des huiles de cuisson.

L’olive? Autant parler d’or en bouteille. L’arachide? Quasi inexistante, en raison du nombre toujours plus élevé de personnes allergiques. Et partout, partout, ces étalages d’huile de canola. Sauf que canola, connais pas. Il faudra des mois de méfiance – et de cuisine au beurre – pour enfin comprendre que le canola, c’est le colza du Canada.

Un ajustement que connaît bien Véronique Barthet. La chercheuse, qui dirige l’équipe de huit personnes dédiées au programme d’oléagineux du laboratoire de la Commission canadienne des grains, à Winnipeg, est originaire de Toulouse, dans le sud de la France. « Je suis venue pour une année au Canada, avec une bourse d’études en sciences de l’alimentation. Je suis finalement restée 10 ans à Montréal, avant d’arriver au Manitoba en 2000 », explique-t-elle en souriant. Autant dire qu’elle a eu le temps de se familiariser avec les spécificités locales. Mieux encore, elle est devenue LA spécialiste du canola qui, première nouvelle, est pratiquement une invention manitobaine.

« Il s’agit d’une variété de colza, une graine voisine de la moutarde, qui a été importée au Canada par des immigrants polonais au début du 19e siècle. Dans les années 1940, l’huile extraite de cette variété était principalement destinée à lubrifier les moteurs de la marine marchande. Puis, la culture est peu à peu tombée dans l’oubli jusqu’à ce que, dans les années 1960, deux chercheurs se penchent sur ses qualités. La première d’entre elles étant que cette plante résiste bien au froid. Parce qu’ici, et principalement dans ce grenier canadien que sont les Prairies, l’arachide n’est pas cultivée, l’olive a besoin d’un climat bien trop méditerranéen, le tournesol, de beaucoup de chaleur pour donner de l’huile… Quant au soja, il est déjà beaucoup cultivé en Ontario et au Québec. »

Ces deux chercheurs, Richard Keith Downey, de l’Université de la Saskatchewan, et Baldur Rosmund Stefansson, de celle du Manitoba, ont donc cherché à améliorer les qualités nutritionnelles et le goût de l’huile de colza.

« Par croisements, Downey et Stefansson sont parvenus à créer une variété de plante au très faible taux d’acide érucique, un acide gras monoinsaturé. En 1974, ils ont baptisé leur plante canola, pour « Canada », et « huile ». Toute l’industrie du canola découle des travaux de ces chercheurs et de ceux en nutrition du Dr Bruce McDonald, également à l’Université du Manitoba. »

Une industrie florissante, pour le moins : en 2016, près de 20 millions de tonnes de canola ont été produites au Canada, qui est le premier producteur et le premier exportateur mondial d’huile de canola/colza (1). Mais, nul n’étant prophète en son pays, le Manitoba n’a produit que 2,6 millions de tonnes en 2016, loin derrière l’Alberta (6,1 millions) et la Saskatchewan (10,6 millions). « La production est en hausse constante depuis des années, en raison des qualités nutritives de l’huile de canola, qui est l’une des meilleures huiles comes- tibles en matière de santé, notamment pour la cuisson puisque c’est celle qui contient le plus d’omégas 3 et 6, et le moins d’acides gras trans. »

Ce qui explique pourquoi la Commission canadienne des grains, l’organisme fédéral de régulation installé à Winnipeg depuis 1912, s’intéresse de près à sa production. Au point d’allouer une grande partie de son budget de recherche à l’étude des effets de l’environnement sur la qualité des graines et des produits qui en sont issus. « C’est le rôle de la Commission d’appuyer les producteurs, les processeurs et les élévateurs de grains du Canada, reprend Véronique Barthet. Lorsqu’un souci survient, il nous incombe de comprendre et si possible, de le résoudre. Par exemple, le canola est généralement mûr en octobre. Or l’an dernier au moment de la récolte, il a neigé très tôt en Alberta et en Saskatchewan. Certains producteurs ont pu récolter en novembre ou en décembre à la faveur d’une fonte de la neige; d’autres ont dû attendre le mois de mai.

« Quand la graine est imbibée d’eau, elle germe, se dégrade et génère plus d’acides gras libres. Mais d’un autre côté, le froid stoppe tout le processus. Toute la question est donc de savoir ce qu’il est possible de faire de ces récoltes touchées par une neige précoce, et de déterminer si la conservation sous la neige peut développer sur la graine d’autres qualités qui peuvent la rendre utilisable. En fait, c’est comme une soupe que vous auriez trop salée : est-ce que vous trouvez une parade pour contrer l’effet du sel ou est-ce que vous jetez la casserole? »

Un débat dans lequel l’ensemble des producteurs canadiens de canola sont bien contents que Véronique Barthet mette, justement, son grain de sel.

(1) Source : Statistique Canada.