Dans le cadre du Winnipeg Flash Photographic Festival, la photographe Janelle Baldwin présente jusqu’à la fin du mois d’octobre une exposition alliant image et son au café Fools & Horses à Winnipeg. « This time last year / Il y a un an aujourd’hui » retrace son expérience aux côtés de deux poétesses en tournée dans l’Amérique du Nord.

Valentin CUEFF

Un décor désertique digne d’un western. Une route abandonnée, reconquise par la nature. Démantelée, comme après le passage d’un tremblement de terre. Au premier plan, le béton s’engouffre dans l’abîme. Au bord du précipice, une femme se détache du paysage sauvage, la posture droite, les poings serrés, conquérante.

En une quinzaine de photos et quatre podcasts, Janelle Baldwin plonge le spectateur dans une autre Amérique, loin des clichés. La photographe évoque son voyage sur la route avec exaltation, comme une expérience qui a de loin dépassé ses attentes.

Tout a commencé lorsque deux poétesses de Winnipeg, Mona Mousa et Larissa Musick, l’ont contactée. « Elles ont entendu parler de moi et du fait que j’aimais les photographies de voyage. On s’est rencontré et elles m’ont demandé si je serais intéressée pour participer à une tournée au Canada et aux Etats-Unis qu’elles avaient organisée. »

Accompagnée par les deux femmes, ainsi que par son amie mannequin et actrice Rachel Molloy, elle s’est lancée sur la route. Une tournée qui l’a menée dans des cafés, galeries d’arts et autres espaces d’expression dans les grandes villes de la côte Est américaine, en Lousiane, et jusqu’au Texas, à Austin.

Un an plus tard, l’expérience s’est révélée fructueuse sur tous les plans. Professionnellement, d’abord : le road trip américain fut l’occasion pour elle de faire de la promotion pour une marque de vêtements en photos.
Mais aussi sur le plan des études. « Je suis un cours d’écriture créative en anglais. Pour un des projets, je devais réaliser un podcast. Je me suis dit que je voulais faire quelque chose sur cette tournée. »

Enfin, l’étudiante en deuxième année en communication multimédia à l’Université de Saint-Boniface a décidé de combiner photos et podcasts pour un projet universitaire qui impliquait de mêler plusieurs supports.
« Je me suis dit que je pourrais monter une exposition et utiliser mes acquis de cours de marketing pour la promouvoir, et utiliser les podcasts pour lui donner une dimension multimédia. Je pourrais utiliser mes connaissances en informatique pour créer des codes QR, pour que les gens puissent scanner le code sur leur cellulaire, et écouter tout en regardant les photos. »

Elle souhaitait employer les deux médias pour retranscrire l’état d’esprit et l’atmosphère du voyage. « Dans les podcasts, je parle de ce qu’il se passait au moment des photos, les événements qu’on a vécus, les obstacles rencontrés. Je voulais essayer de recréer l’énergie que nous avions à ce moment-là. »

Sur Instagram, Janelle Baldwin partageait des photos à chaque étape du périple. L’un des décors qu’elle a choisi pour son shooting : une contre-allée à Détroit. « On roulait à travers la ville, et j’ai vu cet endroit, fait de briques, avec des bâtiments d’allure industrielle, le béton craquelé. Je me suis dit : “C’est ici qu’on doit faire les photos!” C’était tellement beau, il y avait tous ces contrastes, ces couleurs passées, ça collait parfaitement avec la pose pour des vêtements.
« Alors j’ai posté l’image du lieu sur Instagram. En résultat, j’ai reçu des tonnes de commentaires sur cette photo, et ma boîte courriel était pleine aussi. Les gens étaient choqués que je sois à Détroit. Ils évoquaient tout ce qu’ils avaient entendu sur la ville. Certaines messages disaient : “Oh mon dieu, reste en sécurité, je vais prier pour toi.” C’était fou. Des gens que je connaissais à peine me disaient de partir au plus vite. »

Des réactions disproportionnées qui l’ont amenée à orienter ses podcasts sur les idées reçues du grand public sur ces grandes villes.

« Beaucoup de villes et d’États que nous avons visités traînent tellement de stéréotypes. Sur Instagram j’ai répondu que j’allais bien. Que Détroit était un bel endroit. En réalité je me suis sentie très bien accueillie, et en sécurité, dans les endroits où nous sommes allés. »

La tournée, qui devait passer par Chicago la dernière semaine, a connu un virage inattendu. “À Chicago, sur la route, une jeune femme nous est rentrée dedans avec sa voiture. On allait tout droit et elle voulait tourner à gauche. Je me trouvais du côté passager à ce moment-là. Je me souviens de voir ma portière enfoncée, le métal se courber vers ma jambe. C’était terrifiant. On a dû annuler le dernier spectacle et rentrer en avion à Winnipeg. »

Parmi les déboires et les inquiétudes, Janelle Baldwin évoque surtout des rencontres humaines inspirantes, à commencer par les deux poètes qui l’accompagnaient et dont la force des propos fut comme une révélation.

« Dans ces poèmes, Mona parle beaucoup d’amour, de connections sincères entre les individus, quelles que soit leur origine sociale ou ethnique, leur religion ou leur identité de genre. Elle parlait des défis qu’elle rencontrait, en tant que femme queer et de couleur. Les thèmes qu’elle abordait étaient très inspirants et valorisants pour les femmes. »

Cette atmosphère créatrice, dans la veine de la Beat generation, a mené la photographe à mettre sa plume à l’essai. « J’ai écrit mon premier poème sur le siège arrière de notre véhicule. Lorsque je l’ai montré aux autres, elles m’ont dit : “Tu dois le lire ce soir à l’événement!” Je ne voulais pas au début mais j’ai fini par le faire. C’était incroyable, une super expérience. »

« Ça a été pour moi une véritable prise de conscience. Des différences culturelles, des stéréotypes, du racisme. Entendre Mona parler de ces problématiques, je me suis sentie très inspirée. Je me disais qu’on était quatre femmes ensemble, des poètes, un mannequin, une photographe, entre autres choses que nous sommes, et que nous avions accompli tout ça. »

Un état d’esprit qui pose les bases de son prochain projet.

« Quand je suis revenue de la tournée, j’ai proposé à une amie, qui est coach de vie et qui vit à Bali, de créer des séminaires d’amour propre pour les femmes (self-love retreats en anglais, ndlr). Nous aimerions créer un espace sûr pour les femmes, et qu’elles s’y sentent en pouvoir d’accomplir des choses et valorisées. »