Ce mardi 31 octobre 2017, une délégation de juges de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba se déplacera à Norway House pour y rencontrer une vingtaine de chefs des Premières Nations du Nord. Objectif : essayer de gommer les dysfonctionnements d’un système judiciaire qui a trop longtemps ignoré les réalités autochtones. Une rencontre que Gilbert Fredette, chef par intérim et conseiller de bande de la Nation crie de Norway House, veut voir comme le début d’un long processus de guérison

Par Barbara GORRAND

Si l’on en croit la maxime, « la justice est aveugle ». Pourtant, il arrive parfois qu’elle décide de soulever un pan de son bandeau pour se confronter à la froide réalité. Et la réalité, dans ce Manitoba qui compte la plus forte proportion d’Autochtones incarcérés de tout le pays, c’est que les rouages du système judiciaire sont grippés.

C’est pourquoi la rencontre qui doit se dérouler ce mardi à Norway House fait figure de moment historique. Parce que pour la première fois au Canada, une délégation de juges de la Cour du Banc de la Reine, emmenée par son juge en chef Glenn Joyal, va se déplacer dans une communauté de Premières Nations pour y parler vérité, réconciliation, et justice.

À Norway House plus exactement, là-même où, en 1875, a été signé le Traité No. 5 qui a scellé l’avenir des peuples autochtones de cette partie de la Province. « Et depuis, nous, peuples des Premières Nations, sommes restés le dommage collatéral de la colonisation », résume Gilbert Fredette, le chef par intérim de la réserve.

« On a célébré cette année les 150 ans du Canada. Mais pour les peuples autochtones, il n’y a rien à fêter. C’est pourquoi cette journée est capitale : pour la première fois, deux facettes du Canada vont se rejoindre pour tenter de se comprendre. De faire face aux erreurs d’une structure légale basée sur des principes européens qui n’ont jamais considéré la culture autochtone. C’est un fossé abyssal qu’il faut absolument combler. »

Une évidence à laquelle se sont rendus les juges du Banc de la Reine du Manitoba, à l’origine de cette rencontre, comme tient à le souligner Gilbert Fredette :

« La cour a fait preuve d’humilité en reconnaissant qu’il fallait agir. Le jour où la juge Lore Mirwaldt, qui est une amie avec qui j’ai souvent parlé de cette situation, m’a appelé pour me dire qu’ils avaient du mal à organiser cette rencontre, j’ai pris la balle au bond et j’ai dit que je me chargeais de l’organiser, mais qu’elle devrait avoir lieu à Norway House. À Winnipeg, loin de cette réalité que l’on veut aborder, cela n’avait pas de sens. D’autant que pour certains de ces juges, ce sera la première fois qu’ils pénètreront dans une réserve. Ce qui m’a toujours semblé contradictoire : comment peu ton rendre des décisions de justice impliquant les populations autochtones sans avoir une idée de ce qu’est leur environnement culturel, leur vie quotidienne, les défis auxquels ils font face?

« C’est ce qui a abouti à la situation actuelle au Manitoba : plus de 70 % de la population carcérale dans la province est autochtone. Et ce taux est encore plus élevé lors qu’il s’agit des femmes autochtones. Et puis, il y a le problème des Services à l’enfant et à la famille. À nouveau, le Manitoba se distingue avec le taux le plus élevé d’enfants placés du Canada. Chaque année, plus de 300 enfants sont enlevés dès la naissance à leur mère dans les communautés autochtones sur décision de justice. On ne peut pas continuer comme ça. »

À Norway House, les juges feront donc face aux attentes d’une vingtaine de chefs des Premières Nations du Manitoba Keewatinowi Okimakanak (MKO).

Gilbert Fredette poursuit : « En tant que Premières Nations, ce que nous attendons de cette journée historique, c’est de parvenir à une meilleure compréhension entre la Couronne et nos propres lois autochtones.”

« Nous espérons faire du Manitoba le Ground Zero sur lequel seront bâties de nouvelles fondations entre la justice canadienne et les Premières Nations. Afin de donner toute leur place aux peuples autochtones dans la société canadienne, il est temps de regarder les causes du problème, plutôt que de se contenter de gérer les conséquences.”

« La famille de cette personne a-t-elle été marquée par les écoles résidentielles? Par un placement abusif des Services à l’enfant et à la famille? Par la rafle des années 1960? Par la disparition d’une femme de sa famille? Lorsqu’on prend une décision de justice qui va avoir un tel impact sur la vie d’une personne, il faut regarder son passif.”

« Un passif qui pèse déjà tellement sur les épaules de nos jeunes, qui n’ont déjà pas les mêmes chances que les autres. Quelque part, ce passif les condamne à l’échec, du berceau jusqu’à leur tombe. Pour les générations à venir, il est donc primordial que cette journée permette à chacun d’ouvrir les yeux»