Le cinéaste ojibwé du Manitoba, Jeremy Torrie, situe son cinquième long-métrage dans un village francophone fictionnel du sud du Manitoba. Il a pris un vrai village franco-manitobain comme décor pour son film, Corruption of Divine Providence, qui parle d’identité métisse, et de spiritualité.

Par Gavin BOUTROY

Pouvez-vous nous donner un synopsis du film que vous tourniez à Saint-Pierre- Jolys, du 29 septembre au 5 octobre?

Jeremy Torrie : Une fille métisse de 16 ans, qui porte aussi des stigmates, est kidnappée dans un petit village francophone du Canada, et diverses sectes religieuses essaient de se positionner pour la contrôler à son retour. Cette fille est messagère de Dieu. Son message est simple, retournez aux commandements et aux valeurs de vos sectes, puisqu’à la base ce sont les mêmes valeurs. Il y a une scène où cette jeune fille est hypnotisée parce qu’elle cherche à comprendre ce qui lui arrive. Tout à coup, une voix différente de la sienne, plus mature, venant du plus profond d’elle, pose la question « Qui est-tu? ». Donc c’est aussi un film qui traite du thème de l’identité.

Le thème de l’identité autochtone des Métis.

JT : C’est cette idée de l’opposition de la culture métisse à la culture autochtone. Qui est Métis, à quoi ça ressemble aujourd’hui? Il y a la vieille pointe « es-tu seulement autochtone lorsque vient le temps de chasser hors saison? » Je m’intéresse à la connexion qu’un Métis peut avoir avec son côté autochtone, quand sa culture est principalement française et catholique. La genèse du film, c’est le début de ma relation avec ma femme. C’est une Métis francophone de Saint-Léon. On sortait ensemble depuis quelques mois, et par un jour d’été ensoleillé, elle m’a emmené chez elle pour rencontrer sa famille. Il y avait au moins 30 personnes. Quand je suis rentré dans la maison, il y avait le Christ souffrant sur la Croix sur tous les murs, et d’autres iconographies religieuses. Moi, je suis Ojibwé, chez moi ce n’était pas pareil… Mais ces communautés d’apparence si pieuses connaissent, elles aussi, des infidélités et des meurtres. C’est l’origine du film.

Êtes-vous religieux?

JT : Je suis religieux dans le sens traditionnel des Ojibwé. Je suis un Gardien du calumet, j’ai des noms autochtones, je vais à des Sweat… Religieux, ce n’est pas le bon mot. J’ai de la foi. J’ai vécu suffisamment d’épisodes dans ma vie pour croire qu’il y a une force plus grande que moi, un pouvoir supérieur.

À l’heure où il y a une tendance dans le cinéma autochtone canadien de parler du christianisme pour son rôle dans les pensionnats autochtones, et de mettre l’accent sur les cérémonies traditionnelles, vous avez une approche différente.

JT : À un moment donné dans le film, la jeune fille est en lévitation devant des centaines de personnes. Elle déclare : « Je suis Métis. I am reconciliation ». Il a eu des atrocités par le passé. Le savoir traditionnel que j’ai reçu m’a appris à chercher la paix, la tolérance, l’humilité. Quand j’ai commencé à aller aux Tentes à suer, on m’a dit qu’il y avait une raison à ce que j’aie le teint clair et une bonne maîtrise de l’anglais. J’avais le don d’être un conteur d’histoires, pour faire le pont entre nos deux cultures.

Parlez-nous de votre style cinématographique.

Je mets toujours en avant une femme forte, et il y a toujours un élément de spiritualité à mes films. Les images de mes films sont souvent naturalistes, j’aime tourner dehors dans la nature. J’aime la lumière naturelle, des contrejours, la lumière de « l’heure d’or » immédiatement avant le coucher du soleil, et le lever du soleil. J’aime aussi tourner de vastes ciels manitobains. C’est une esthétique qui ressemble un peu à l’émission de télévision américaine Fargo. Souvent, il y a un petit côté bizarre à mes films. Dans celui-ci, les salamandres…

Pourquoi est-ce que vous avez décidé de tourner à Saint-Pierre-Jolys?

JT : Normalement, j’ai un directeur des lieux chargé d’identifier des lieux de tournage et d’en faire des photos. Mais pour ce film, je savais ce que je voulais. La grotte de Saint-Malo par exemple. En revenant de Saint-Malo, je suis passé devant une maison à Saint-Pierre-Jolys qui était exactement comme j’imaginais la maison d’un des personnages du film. Et il s’est trouvé que les propriétaires de la maison étaient les anciens propriétaires du restaurant Le Routier, où je souhaitais également tourner. On a aussi tourné dans les champs aux alentours du village. On a amené un peu d’Hollywood à Saint-Pierre-Jolys. J’espère qu’on aura inspiré des jeunes du village à se lancer sur le chemin du cinéma.