Duncan Stewart est le directeur de la recherche en technologies, médias et télécommunications pour la société Deloitte Canada. Il co-rédige chaque année une publication de « prédictions annuelles » sur les grandes tendances dans ces domaines. Présent lors du lancement de la semaine des PME, organisé par le World Trade Centre Winnipeg, il livre une vision plutôt optimiste du futur connecté.

par Valentin CUEFF

Comment les gens obtiennent-ils l’information aujourd’hui?

D.S. : Les infos sont largement obtenues par le biais d’Internet. Mais une quantité surprenante d’informations est encore obtenue par la télévision et la radio. Je lisais récemment un article qui montrait que les séries télé constituent la plus grande catégorie pour la publicité, puis viennent les infos, avant le sport. C’est un marché de plus de dix milliards de dollars par an.

Beaucoup de gens regardent encore les infos à la télé et les publicitaires payent toujours pour cet état de fait. N’empêche, mes enfants, qui ont entre 21 et 27 ans, ne regardent pas la télévision. Ils s’informent en ligne, sur le fil des réseaux sociaux comme Twitter et Facebook. Ils vont aussi sur des sites Internet comme Unilad ou Vice. Des sites qui n’existent que par le Web, qui ne sont pas des versions en ligne de journaux télé ou radio, comme CBC ou The New York Times.

Une récente étude (1) affirmait que les gens lisent seulement les titres des articles sur Internet.

D.S. : Tout le monde le fait. Vous êtes journaliste, vous connaissez la pyramide inversée (technique de rédaction pour prioriser l’information, ndlr). La plupart des gens ne lisent que les gros titres. C’était déjà le cas il y a 400 ans. Des études faites dans les années 1880-1890 disaient déjà que les gens n’ont plus l’attention qu’ils avaient auparavant. Je ne suis pas sûr que ce soit vrai.

« [Les jeunes] ont davantage la capacité de vérifier les faits que leurs aînés. Je dirais que le problème des fausses nouvelles est plus important pour les personnes entre 35 et 65 ans. »

Je participe à des groupes de discussion de personnes entre 18 et 36 ans, du monde entier, de 78 pays différents. Ils sont intelligents, informés, lisent les nouvelles, de la même façon que les autres catégories d’âge. Je crois que leurs capacités pour lire des informations en ligne sont aussi bonnes. Je pense qu’ils sont plus à même de savoir quand il s’agit d’un site d’informations satirique (comme The Onion, The Beaverton, ndlr). Je pense qu’ils ont davantage la capacité de vérifier les faits que leurs aînés. Je dirais que le problème des fausses nouvelles (en anglais fake news, ndlr) est un plus gros problème pour les personnes entre 35 et 65 ans.

Vous pensez que les gens ont le réflexe de vérifier les faits de tout ce qu’ils lisent?

D.S. : Les fake news ont toujours existé. L’implication des États-Unis en 1898 dans la guerre hispano-américaine a largement été provoquée par le magnat de la presse William Randolph Hearst, à cause d’un article sur la façon dont le USS Maine, un navire américain, aurait coulé (2). C’était une histoire en grande partie inventée.

Donc ces fausses nouvelles, tout comme le journalisme de caniveau, ne sont pas une nouveauté. Je ne suis même pas sûr qu’elles ont une plus grande influence aujourd’hui qu’elles en avaient à l’époque. Si ça a causé une guerre il y a 100 ans, en quoi cela serait-il pire qu’élire une certaine personne aujourd’hui?

Mais nous sommes aujourd’hui exposés à une masse plus importante d’informations, dont il est difficile de faire le tri…

D.S. : Ça n’empire pas les choses. Si vous avez seulement un journal dans votre village, que tout le monde le lit, et que ce sont des fausses nouvelles, est-ce plus grave d’avoir un millier de différents sites, certains fiables, d’autres non? Pour ceux qui sont intéressés de mieux comprendre l’actualité, je pense que c’est plus facile pour eux en 2017 qu’en 1970. Beaucoup de gens en Amérique du Nord il y a 100 ans auraient vécu dans un village sans télévision – ça n’existait pas – sans radio – ça n’existait pas – mais avec un journal, qui appartenait généralement au gars le plus riche du village. Est-ce qu’aujourd’hui le monde se porte plus mal? Je n’en suis pas sûr.

« Je ne suis pas sûr que les fausses nouvelles ont une plus grande influence aujourd’hui (…). Si ça a causé une guerre il y a 100 ans, en quoi cela serait-il pire qu’élire une certaine personne aujourd’hui? »

Pourtant tellement de personnes voient d’un mauvais œil la relation que des jeunes ont avec leurs téléphones et Internet…

D.S. : Est-ce que les jeunes utilisent plus leur téléphone intelligent que les personnes plus âgées? Oui, c’est le cas. Si je lançais maintenant un sondage auprès des Canadiens, en leur demandant : Essayez-vous de moins utiliser votre téléphone?, qui serait plus enclin à dire oui ? Les gens de plus de 35 ans, ou ceux de moins de 35 ans?

J’imagine que si vous posez la question, ce sont ceux de moins de 35 ans…

D.S. : Exactement! Ils l’utilisent beaucoup plus, mais ils sont aussi ceux qui essaient davantage de s’en servir moins. Savent-ils que ça peut être un problème? Oui. Ils savent qu’ils ne devraient pas texter et conduire. Ou encore texter en traversant la rue. Ils savent qu’ils ne devraient pas texter pour rompre avec leur petit copain ou petite copine. Ils savent qu’ils ne devraient pas texter au milieu de la nuit. Je pense que ceux entre 18 à 35 ans le comprennent et se disent : Je veux faire mieux, et déconnecter de temps en temps. Je me fais plus de souci pour les plus de 35 ans.


(1) Social Clicks: What and Who Gets Read on Twitter? : Selon cette étude menée par l’Université de Colombia et l’Institut national français de recherche en informatique et en automatique (INRIA), 59% des liens vers des articles partagés sur les réseaux sociaux ne sont pas lus.

(2) Le journal de William Randolph Hearst a prétendu que le navire en question avait été torpillé par l’Espagne. Cette fausse nouvelle – la véritable raison de sa destruction est encore l’objet de spéculations – aurait été l’un des éléments déclencheurs de la guerre hispano-américaine