Eric Lemoine gratte des cordes depuis quatre ans aux côtés de Jolene Higgins, sa partenaire sur scène comme dans la vie. Leur groupe, dont la musique s’inspire du vieux blues, sera au West End Cultural Centre le 2 décembre pour promouvoir la sortie de leur nouvel album, My home, my heart. Rencontre.

Par Valentin CUEFF

Elle mène la danse, d’une voix délicate et chaleureuse, un ukulele en main. Lui peaufine le décor musical de sa muse, avec ses comparses musiciens. Parfois avec un banjo, d’autres fois avec une guitare pedal steel. Mais au fait, quel est cet instrument étrange? Eric Lemoine décompose :
« Ça se joue assis. C’est comme un manche de guitare sur une table, avec des pédales pour les pieds et des leviers pour les genoux. Tu en joues avec une barre de métal sur le manche et en appuyant sur les pédales, pour faire monter ou descendre la note. C’est pas mal incroyable. »

Un instrument peu commun dans les Prairies dont il s’est fait une spécialité. Au point qu’aujourd’hui, il est appelé pour participer à des enregistrements de groupes qui souhaitent embellir leurs morceaux avec ce son de corde onduleux.
« La guitare pedal steel peut jouer des mélodies complexes ou faire des sons plutôt atmosphériques. C’est l’instrument classique de la musique country, mais c’est vraiment plus subtil que ça, et complète très bien n’importe quel genre de musique. »

Eric Lemoine évoque, les yeux rêveurs, les grandes figures du blues qui ont utilisé cet instrument et qui l’inspirent, comme Bob Wills ou Hank Williams.
« Dans les années 1930, c’était juste une steel guitar, donc ils jouaient debout mais ils n’avaient pas les pédales. C’est plus dans les années 1950 que c’est apparu. »

Quand il n’est pas le directeur adjoint des activités sportives à l’Université de Saint-Boniface, Éric Lemoine se replonge dans la musique de l’entre-deux-guerres; il y puise les matériaux pour composer la musique de Little Miss Higgins.

C’est d’ailleurs son goût pour la musique des vieux jours l’a conduit à rencontrer Jolene Higgins. Originaire de l’Alberta, la musicienne se produit en concert depuis une quinzaine d’années sous le nom Little Miss Higgins. Elle a adopté le Manitoba il y a cinq ans, où elle a composé l’album Bison Ranch Recording Sessions (2013) avec le groupe d’Eric Lemoine, rebaptisé pour l’occasion les Winnipeg Five.

La chanteuse demeure au cœur du processus de composition, comme l’explique le guitariste : « Elle a parfois juste le squelette d’une chanson. Ça peut partir de quelque chose de très simple, et les autres musiciens vont ajouter leur touche. »

« Le vieux blues/jazz est la base d’une grande partie de la musique populaire actuelle. Je crois que les gens peuvent vraiment s’identifier aux thèmes de ce genre de musique. »

Dans leur démarche, on sent l’idée de rendre hommage et de garder vibrante la mémoire d’artistes méconnus, qui ont grandement influencé la musique contemporaine. « Le vieux blues/jazz est la base d’une grande partie de la musique populaire actuelle. Je crois que les gens peuvent vraiment s’identifier aux thèmes de ce genre de musique. Une des artistes qui a vraiment inspiré Jolene, c’est Memphis Minnie. Cette musicienne a eu une carrière dans les années 1920. Pour Jolene, c’est une façon de garder ses chansons en vie et d’exposer le public à une musique dont il n’a pas idée. Leur montrer d’où vient le blues. »

Et surtout, mettre en avant le swing. Amoureux de la scène, ils ont souhaité, pour cet album et le nouveau, reproduire en studio l’énergie et la spontanéité de leurs concerts : « On a tous joué ensemble, et pas dans des cabines individuelles. Ce qu’on entend sur notre album précédent, c’est nous, ce qui est arrivé, rien n’a a été changé. On a fait quelques modifications pour ce nouvel album, mais la majorité des instruments ont aussi été captés en même temps. Comme ça, les gens qui écoutent le disque peuvent vraiment ressentir le live. »

Leur musique, qui puise dans les vieux répertoires, tient à garder une part de modernité, ne serait-ce que dans la façon dont elle est partagée.
« Avec le climat actuel, il y a beaucoup de changements. Dans la façon dont les gens achètent, ou n’achètent pas. De plus en plus, il faut se montrer créatif, stratégique. Par exemple pour cet album on a fait des CD, mais on s’est posé la question : est-ce que ça vaut la peine d’en faire 1 000? C’est la réalité aujourd’hui. Avec des sites comme Youtube, les gens en achètent moins. »

D’où la nécessité, pour le groupe, de se faire connaître sur les plateformes numériques et de faire des vidéos promotionnelles. Mais pour Eric Lemoine, le public reste attaché au matériel.
« Je pense que les gens vraiment passionnés de musique aiment toujours avoir quelque chose de tangible. Ça expliquerait pourquoi le vinyle redevient populaire. C’est bien d’avoir de la musique sur son téléphone, mais le vinyle est une expérience différente. Pour le lancement du nouvel album, des personnes en ont demandé. On n’en a pas pour le moment mais c’est quelque chose qui pourrait venir plus tard. »