Après les défilés, les spectacles, les consultations et conférences ainsi que les démarches de réconciliation et les excuses officielles, quel est l’état d’esprit des Canadiens à la fin de l’année du 150e anniversaire de la Confédération canadienne?

Par Jean-Pierre DUBÉ (Francopresse)

Pour certains observateurs, le triomphalisme est difficile : 2017 a débuté avec la tuerie de six musulmans dans une mosquée et encore des Autochtones, des femmes et des minorités sexuelles sont quotidiennement victimes de violence.

Denis Perreaux se souvient d’une caricature sur le 100e de la Confédération en 1967. « C’était la GRC, tout était en rouge et blanc, très ordonné. Tandis qu’en 2017, c’est le chaos total. On a pu acheter une bouteille de Gibson’s (Whiskey) avec le Canada 150 écrit dessus. Mais en termes de discours, il n’y a pas de fil narratif universel. »

Le directeur général de la Société historique francophone de l’Alberta s’en réjouit. Il note que plusieurs populations normalement sans voix ont trouvé l’occasion de s’exprimer.
« C’est une année où la discussion sur la décolonisation a vraiment pris une ampleur. Je suis content de voir que l’idée d’un Canada né en 1867 est tombée sur des oreilles sourdes. On a compris que ce n’était pas cohérent. »

Le résidant de Saint-Albert œuvre dans les coulisses du patrimoine albertain et partout, dit-il, la question de la réconciliation a fait surface, notamment lors d’une rencontre provinciale de l’Association canadienne-française de l’Alberta pour réfléchir sur son centenaire. « J’étais très curieux de voir comment on allait aborder la discussion. Environ un tiers de la conversation a tourné autour de comment intégrer la réconciliation. »

Entre francophones et Autochtones, liés par l’histoire

Selon Denis Perreaux, la réconciliation avec les Autochtones est importante parce qu’elle peut être liée à l’histoire des francophones par un dénominateur commun : les oblats. La communauté religieuse a non seulement fondé la communauté francophone albertaine, mais aussi les pensionnats autochtones. « La discussion est différente au Manitoba à cause des liens entre les Métis et les francophones. En Alberta, on est loin l’un de l’autre. Si on célèbre nos fondateurs, on ne peut pas le faire en niant le rôle des oblats dans les écoles résidentielles. »

La réconciliation est également au cœur de la réflexion de la Métisse Aimée Craft, une avocate spécialisée en droit autochtone. « Le 150e nous permet de réfléchir sur un passé riche et contesté. C’est une opportunité pour reconnaître nos torts et de choisir de faire mieux. » L’année 2017 a été pour elle un grand défi, suivant son départ de l’Université du Manitoba où elle était directrice de recherche au Centre national pour la vérité et la réconciliation (CVR).

L’avocate a occupé un poste semblable pour l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA) avant de démissionner à l’automne. Mais elle ne revient pas sur ce chapitre. « On est au bord d’un précipice, lance Aimée Craft, il faut un changement. Il est primordial de donner effet à la réconciliation comme définie par la Commission : établir et maintenir des relations respectueuses. Ça veut dire travailler de nation à nation avec les peuples autochtones, répondre aux appels à l’action de la Commission, incluant l’adoption d’une nouvelle proclamation royale. »
Aimée Craft souhaitait que 2017 soit l’occasion de nommer une juge autochtone à la Cour suprême « pour reconnaître les fondements juridiques et politiques qui ont permis au Canada de prendre naissance. Le 150e me fait penser au chemin qu’il reste à faire. »

Dans les communautés LGBTQ2+

Pour sa part, Arnaud Baudry reconnaît l’importance de la réconciliation amorcée en novembre avec la communauté LGBTQ2+ à partir des excuses officielles du premier ministre.

Selon le coprésident de 2 FrancoQueer de Toronto, bien des minoritaires sexuels ont été émus par le geste « attendu depuis des décennies, surtout par les victimes de cette répression » dans la fonction publique et les forces de sécurité.

« C’est une première étape qui doit être suivie de décisions politiques », affirme-t-il. Il évoque la décriminalisation des séropositifs, l’inclusion des gays au don sanguin, la réduction de la limite d’âge du consentement pour des relations anales consensuelles et le traitement policier des LGBTQ2+. « La police fait trop de zèle à Toronto, selon Arnaud Baudry. Sa présence n’est pas synonyme de sécurité. »

Le porte-parole apprécie l’inclusion des bi-spirituels autochtones dans le discours de Justin Trudeau aux Communes. « Ce sont des personnes qui s’identifient à la fois comme homme et femme ou dans le spectrum entre les deux. Les communautés ont perdu ça dans leur culture lors de la colonisation et travaillent à reconnecter avec ces personnes. »

Un 150e de dénonciation

Le Canada a évolué en 2017 dans la proximité d’une Amérique sous Donald Trump, marquée par l’intolérance et la violence envers les minorités ethniques et sexuelles, sans oublier les femmes. Au Regroupement féministe du Nouveau-Brunswick, on est témoin du retour d’obstacles à l’égalité. « Quand on parle de violence à caractère sexuel, souligne la directrice générale Nelly Dennene, on a vu des témoignages très troublants. Ça nous a incités à prendre le chemin de la dénonciation des agressions. »

Ainsi, trois organismes ont collaboré à une campagne sur la culture du consentement à l’Université de Moncton et lancé ainsi une conversation provinciale.  « C’est positif de parler de violence », croit Nelly Dennene. Pour que ça change dans les institutions, on a besoin d’établir une série de mécanismes, comme l’adoption de politiques-cadres et des stratégies de prévention. »

Par exemple : l’introduction de cours d’éducation sexuelle donnés par des intervenants accrédités. « Que ce soit au fédéral ou au provincial, poursuit-elle, on a des gouvernements féministes. C’est comme si les étoiles étaient alignées : on sent l’ouverture dans les discours, par exemple dans l’aide internationale canadienne. C’est un changement quand on compare avec les propos de (l’ex-premier ministre) Stephen Harper, qui refusait l’égalité, parlait des femmes exclusivement comme des mères et supprimait toute référence à la contraception. »

La directrice générale voudrait qu’on fasse davantage confiance aux femmes dans l’ENFFADA. « On est encore à parler des enjeux et on n’écoute pas les femmes. Elles n’ont pas besoin d’études pour savoir quelles sont les solutions les plus pertinentes. » Le Regroupement entend profiter des élections provinciales l’an prochain pour mettre l’accent sur la participation des femmes à la vie politique.

Au Nouveau-Brunswick, le taux est de 16 %, un des plus bas au Canada. Nelly Dennene : « On peut définitivement faire mieux. » L’organisme a aussi décidé que « 2018 sera l’année où on sera plus militantes et inclusives. On va mettre de l’avant l’égalité des genres comme enjeu de la prochaine élection. On part du principe que la masculinité et la féminité sont des construits sociaux. »


Et les langues officielles?

Denis Perreaux espérait une année de réconciliation pour les langues officielles. Il évoque les grands discours de 1967 sur la nature du Canada, notamment le tournant vers la dualité linguistique comme valeur nationale qui allait être enchâssée dans une loi fédérale.

« Si j’étais ministre du Patrimoine, j’en profiterais pour intégrer les langues officielles dans le discours du 150e anniversaire du Canada. Mais ça n’arrivera pas. »

Il se dit déçu, mais pas surpris.

« Pour un gouvernement très conscient de ses stratégies de communication, poursuit-il, ne pas voir comment la relance du Plan d’action pour les langues officielles peut s’insérer dans une célébration de la Confédération est révélateur de l’érosion de la dualité linguistique comme valeur fondamentale. »