Connaissez-vous le Wilderness Committee? Cet organisme membre de l’Écocentre de Winnipeg milite pour la préservation de la vie sauvage dans nos contrées et sensibilise le public sur ces enjeux. Visite guidée avec Eric Reder, défenseur corps et âme des espaces délivrés de toute présence humaine.

par Valentin CUEFF

Au troisième étage du 303 de la rue Portage, cinq organismes de lutte pour l’environnement partagent leurs bureaux – et des idéaux.
Dans cet Écocentre, pas d’aménagement ultra moderne en espace ouvert. Plutôt une aire de travail bricolée comme à la maison, où la couleur du bois prend le pas sur celle du métal. De quoi conférer au lieu une atmosphère chaleureuse, affairée mais pas trop pressée. Attention, ici, on enlève ses chaussures à l’entrée.

Entre les nombreuses cartes du Manitoba et les portraits de la faune provinciale, on trouve les locaux du Wilderness Committee (qu’on pourrait traduire par le Comité de la vie sauvage). Une société à but non-lucratif qui milite pour la préservation de la nature et des animaux sauvages.

Ce comité existe depuis 37 ans dans l’Ouest canadien, et depuis 17 ans au Manitoba. Discret, mais ferme sur ses convictions, le comité est à l’image de celui qui en tient les rênes depuis maintenant 11 ans : Eric Reder. Quand il s’exprime, ce photographe professionnel, qui a aussi vécu au Yukon et au Lac Louise, parle d’une voix sereine et grave.

Il résume l’action de l’organisme à une idée simple : « Amener la nature dans la conversation » : « Pour toutes les décisions que l’on prend, en économie, dans nos actions quotidiennes, nous devons nous assurer que la nature est impliquée dans chacune d’entre elles. »

Eric Reder est mon guide à travers cet univers pro-vert, situé deux étages au dessus du magasin MEC.
Contrairement aux quatre autres organismes présents entre ces murs (Manitoba Eco-Network, Green Action Centre, Trails Manitoba et Canadian Parks and Wilderness Society), financés par une fondation, le Comité pour la vie sauvage survit grâce aux contributions annuelles de 50 000 Canadiens.

Un travail d’éducation

Retour en arrière. 1986. Eric Reder est tombé dans la marmite écologique lors d’une excursion avec son père au parc Nopiming. Un matin, ils découvrent un chemin qui n’apparaît pas sur la carte.

« Tout d’un coup on est arrivé sur cette coupe à blanc massive à l’intérieur-même du parc provincial. À quelques mètres de la rive, là où on avait l’habitude d’aller faire du canoë. Il y avait des bateaux à moteur, des ordures… Cette vision a résonné en moi, à jamais. »

« C’est le début de ce que je fais aujourd’hui, et pourquoi, quand je suis devenu directeur, la première chose que j’ai faite était de militer contre cette déforestation.
« Pendant deux ans, on a collecté 23 000 signatures de Manitobains. De la part de chasseurs, de communautés des Premières Nations. Cela a conduit à l’interdiction de l’abattage dans le parc, à l’exception des quais. »

« Pour toutes les décisions que l’on prend, en économie, dans nos actions quotidiennes, nous devons nous assurer que la nature est impliquée »
Eric Reder, directeur du Wilderness Committee

La coupe à blanc est au cœur de ses combats. En 17 ans, les efforts du Comité ont conduit à l’exclusion de la pratique dans plusieurs parcs et zones rurales où elle menaçait des espèces rares.

Le militant explique que c’est avant tout en réveillant les consciences des Manitobains que leurs intérêts se font entendre. « Le gouvernement écoute lorsqu’un nombre important de personnes les contacte », répète Eric Reder. « On ne s’assoit pas à une table pour négocier, on essaie de leur montrer ce qu’est une action éco-responsable. »

Il n’y a pas de secret : l’éducation fait la différence, et se trouve au cœur de leur démarche. « Nous voulons enseigner aux gens le fonctionnement d’un écosystème. Comment cela affecte nos vies, le climat, notre eau, notre diversité. Donner aux gens les outils pour qu’ils élèvent leur voix et demandent une politique de protection des terres et des eaux. »

Des virées en nature, pour « créer des témoins »

Pour convaincre, il faut montrer. Confronter le public à la réalité.
Environ quatre fois par an, Eric Reder organise des « Witness Tours », qui ont réuni jusqu’à 42 personnes. La prochaine aura lieu en juin.

« Nous irons au parc provincial de Duck Mountain pour montrer un des deux derniers parcs au Canada où il y a une coupe à blanc. Le contrat d’exploitation est prêt à être renouvelé.  « En aucune façon nous devons abattre des arbres dans un parc. On va amener les gens là-bas et leur montrer les beaux endroits au parc Duck Mountain. Et leur montrer l’impact de l’abattage d’arbres. Quand on emmène des gens dans ces zones, on crée des témoins. »

Environ 3 000 caribous au Manitoba

Mais au fait, qu’y a-t-il d’unique au Manitoba? Eric Reder décrit la province comme un trésor d’espaces naturels. « Nous avons tellement de terres publiques qui n’ont pas encore été perturbées par des activités humaines.
« J’ai passé quelque temps à voyager aux États-Unis. Tout est privé. Ce qu’on appelle un parc est un arbre planté et une table de pique-nique. Ici on a l’opportunité de voir des endroits bruts, non perturbés par l’homme. On peut avoir un meilleur aperçu du fonctionnement d’un écosystème, comment les animaux interagissent. »

« Au Manitoba, on a l’opportunité de voir des endroits bruts, non perturbés par l’homme. On peut avoir un aperçu du fonctionnement d’un écosystème. »
Eric Reder, directeur du Wilderness Committee

Côté faune, le caribou des bois, présent dans les forêts boréales, est particulièrement en danger – au Manitoba, comme ailleurs au Canada. Contrairement à son cousin, le caribou du Nord, également listé parmi les espèces en danger, ces cervidés-là vivent dans la forêt et ne migrent pas.

« Si vous ouvrez une scierie, vous pouvez être sûr que son habitat est inutilisable pour les prochaines 50 années, parce qu’ils mangent du lichen, et que le lichen pousse très lentement. »

D’après Eric Reder, l’endroit où on a le plus de chances d’en croiser est le parc Nopaming. Mais ne comptez pas trop sur une rencontre.
« Les chances de voir un caribou depuis les trois dernières années sont minces. Je suis allé à Nopiming six ou sept fois, et je n’en ai pas vu. Seulement des traces.
« Les estimations du nombre de ces cervidés présents au Manitoba varient entre 2 500 et 3 500. Mais il existe des groupes de caribou qui n’ont encore jamais été étudiés et comptés. »

Une situation peut-être encore plus critique dans les provinces voisines. « En Alberta, ce sont les charges sismiques pour trouver du pétrole qui dérèglent l’environnement des caribous et des loups. »
Il ajoute qu’en 30 ans d’exploration, il a pris une seule photo de caribou.

Un regard vers l’avenir

En octobre 2017, la Province a publié le projet Made-in Manitoba Climate and green plan, un ensemble de mesures pour favoriser le développement durable et lutter contre le réchauffement climatique dans la région.
À l’Écocentre, les propositions ont fait jaser. « Nous les avons toutes séparées, mises sur un mur, et on leur a demandé de placer des points sur les propositions qu’ils trouvaient bonnes ou mauvaises. Tout a ensuite été présenté au gouvernement. »
Ils ont lu les 132 propositions, sur 60 pages, et ont émis des commentaires et critiques.

Non invité aux discussions relatives au volet « eau » des propositions, Eric Reder ne s’est pas gêné pour se présenter malgré tout au débat qui avait lieu à Brandon. Sur place, il fait un constant étonnant. « Il n’y avait que des producteurs agricoles. Nous étions deux personnes d’organismes écologiques pour défendre la cause. »

Il répète que le public bien informé prendra les bonnes décisions. « L’opinion publique commence à comprendre que nous devons arriver à une économie à zéro carbone. Autrement, notre planète sera inhabitable pour notre société. Les énergies fossiles ne sont pas la réponse. »