Et si le franglais faisait aussi partie de l’identité franco-manitobaine? L’idée fait grincer certaines dents. Il reste que des artistes comme Stéphane Oystryk, à l’instar d’autres créateurs, ont déjà pris les devants en incluant le langage bilingue dans leurs oeuvres. À leur sens, pour de bonnes raisons.
Par Valentin CUEFF
Une pratique logique.
Pour le cinéaste de Saint- Boniface, mettre en scène le franglais est une façon de correspondre davantage à la réalité des francophones au Manitoba.
Après la projection de son film FM Youth (de 2014) à Montréal, Stéphane Oystryk est monté sur scène pour une séance de questions-réponses. Un Montréalais a pris la parole pour s’indigner du langage employé dans le film. Un Franco-Manitobain s’est levé à son tour pour faire comprendre au Québécois qu’il n’avait « rien compris » à leur réalité, avant de lui asséner un « f**k you! » et de quitter la salle.
Stéphane Oystryk maintient : « Si j’avais utilisé un français standardisé pour FM Youth, je ne pense pas que ça aurait résonné chez les gens, et qu’ils se seraient reconnus dans mon travail. Je pense que ça n’aurait pas été Saint-Boniface. Le franglais, c’est une partie intégrale de ce qu’on vit et qui nous sommes. Je ne voulais pas faire semblant que cette pratique n’existait pas. »
Le franglais est pour lui le reflet logique de ce que les francophones du Manitoba vivent, comme minorité linguistique dans un « océan d’anglais » :
« Quand tu as des amis qui comprennent les deux codes linguistiques, tu vas sans doute mélanger les deux langues pour mieux te faire comprendre. Certaines expressions se disent mieux dans une langue ou dans une autre, ou parfois on n’arrive pas à trouver le mot, alors on switch. »
La recherche d’une culture.
Ce langage, c’est aussi le reflet de la culture à laquelle les Franco-Manitobains sont exposés.
« La culture anglophone nord-américaine est très attrayante, et bien présente dans nos vies quotidiennes. Souvent, ce qu’on connaît comme culture francophone, ce sont des classiques. Quand tu es au secondaire, tu veux lire un bestseller du New-York Times plutôt qu’un livre de Gabrielle Roy. Tu ne sais pas comment trouver quelque chose, en français, qui ressemble à ce qu’on offre dans cette culture anglophone. »
« Étant minoritaire dans l’Ouest canadien, est-ce qu’il y a des oeuvres qui nous ressemblent, dans lesquelles on peut se retrouver et se dire qu’on existe? Des oeuvres qui nous feront dire : J’ai une identité culturelle qui est valable, unique, qui vient d’ici? C’était un de mes objectifs en faisant FM Youth. C’était pour contribuer à ce matériau culturel de chez nous. »
Un effort d’acceptation.
S’il conçoit que la pratique du franglais peut être un symptôme de l’assimilation, le réalisateur de 35 ans pense aussi que c’est un tabou à dépasser.
« Je comprends qu’il faut qu’il existe aussi une forme standardisée des langues. On devrait tous comprendre le français standardisé. Utiliser le franglais ne veut pas dire qu’on n’a pas un bon niveau de français, ça veut juste dire qu’on connaît les deux codes. Il peut d’ailleurs même être une porte vers le français, plutôt que d’éloigner les gens de leur identité francophone. »
Stéphane Oystryk estime que si le franglais était mieux accepté, plutôt que de constamment viser une langue pure et débarrassée de tout mot d’origine anglaise, les gens découvriraient davantage leur francophonie.
« Il faudrait enfin être honnêtes avec nous-mêmes. Si on arrêtait de dire que parler en franglais est honteux, peut-être les gens n’auraient plus à avoir honte de qui ils sont, et voudraient peut-être enrichir leur côté français. »
Un mélange dans l’air du temps.
Le cinéaste, marqué par la lecture de la pièce Sex, Lies et les Franco-Manitobains de Marc Prescott (1), pense que la pratique fait son chemin dans la culture francophone du Manitoba.
« C’est de plus en plus dans l’air, et accepté culturellement. Ça n’est plus une pratique réservée au foyer et aux groupes d’amis. Ça commence à faire partie de l’identité francophone d’ici. Et je trouve ça intéressant. Je pense que ça peut aider à épanouir le français d’une certaine façon. »
Le Bonifacien prend pour cela l’exemple du compte Instagram Voyageur Memes (2).
« Voyageur Memes parle souvent du Festival du Voyageur, mais ça passe par la traite de fourrures, les forts ou encore Louis Riel. Ça semble ridicule à la surface, mais des gens peuvent se dire : Ça, c’est moi. C’est ce qui nous distingue des autres cultures, c’est un point rassembleur pour se rapprocher de la culture francophone, puis pour être fier de cette culture.
« C’est là la beauté de représenter ce qu’il se passe vraiment dans nos communautés. Je pense que ça peut être plus puissant que l’idéalisation de notre culture. Et dans ce sens, le franglais peut avoir l’effet inverse de ce que les gens imaginent. »
S’il pense que le franglais n’est pas la langue de demain, Stéphane Oystryk trouve attrayante l’idée d’un français nourri du contact avec d’autres langues. Et pas seulement l’anglais.
« Je me rappelle d’une présentation voilà quelques années de l’artiste Janelle Tougas et de la comédienne Katrine Deniset. Elles avaient imaginé lors d’une activité du Conseil jeunesse provincial (CJP) à quoi ressemblerait la langue que parleraient les francophones du Manitoba dans 20 ans. Elles avaient eu l’idée que oui, il y aurait le franglais, mais qu’on insèrerait aussi des mots mitchifs, sénégalais ou autre, dans la langue française, et que ça deviendrait un métissage extraordinaire, à l’image de la communauté francophone qui vit ici. C’est une belle idée. »
(1) La création de Marc Prescott a été présentée en 1993 au Collège universitaire de Saint-Boniface.
(2) Voyageurs Memes est un compte instagram qui reprend le phénomène des memes, élément central de la culture d’Internet. Il s’agit le plus souvent d’images décrivant une situation, qui sont partagées en masse par des internautes, et déclinées en différentes versions, dans le but de faire sourire. Le compte Voyageur Memes reprend, en utilisant le franglais, des éléments typiques de la culture francomanitobaine, pour en faire des messages humoristiques. La page compte à ce jour près de 3 100 abonnés.