Le franglais, Marie-Ève Fontaine connaît. La comédienne originaire de Saint- Boniface utilise ce mélange des deux langues aussi bien dans la vraie vie que sur les planches. Dans un monde où parler français est une marque de résistance, elle voit pourtant son usage comme un acte passif et trop vite relativisé.

Par Valentin CUEFF

Parler anglais le moins possible : c’était l’une des résolutions de Marie-Ève Fontaine pour l’année 2018. « Ça marche plutôt bien. Je travaille beaucoup en français, alors ça aide », explique la comédienne, qui voyage à travers le Canada au gré des projets de théâtre dans lesquels elle s’implique.

À l’origine de cette résolution, un amour de la langue. « Quand je lis des mots, je trouve ça beau. Je pense qu’il y a beaucoup de francophones qui ne s’en rendent pas compte. Qui n’aiment pas la langue pour la langue, mais pour l’identité et la culture. »

Marie-Ève Fontaine soutient que parler français au Manitoba demande une prise de con – science. « Glisser vers l’anglais », comme elle le dit, c’est facile.

« Le fait qu’on parle encore français ici, c’est l’histoire d’une résistance. Ce n’est pas naturel de parler français dans un milieu majoritairement anglophone. C’est une question d’effort. Tu rêves en couleur si tu penses que le français va continuer à vivre tout seul. »

Elle évoque le grand écart linguistique auquel beaucoup de jeunes Franco-Manitobains sont exposés, entre le fait de « parler comme ça sort » et « la volonté de parler français ».

Ce qui sort, bien souvent, c’est ce mélange connu sous le nom de franglais, où la langue majoritaire s’incruste, souvent de façon inconsciente, dans les phrases.

« Le franglais se passe un peu malgré nous. Beaucoup de gens me disent que ça fait partie de leur identité. Mais si c’est par défaut qu’on parle le franglais, à quel point on a choisi cette identité? »

L’artiste bonifacienne le parle, ou non, selon les personnes avec qui elle se trouve. Avec son ami québécois? Elle va éviter le franglais. Et à Saint-Boniface? C’est une nécessité : « Si je suis avec des Franco-Manitobains, j’ai besoin du franglais pour être juste dans mes expressions. »

Sur le fait de parler moins anglais, Marie-Ève Fontaine dresse un parallèle avec un autre défi qu’elle s’était lancée :

« À un moment donné, j’ai essayé d’arrêter de sacrer. Tout ce que ça a fait, c’est des trous dans mes phrases. Il y avait des silences aux moments où je disais normalement Holy..! Je me demande si ce serait la même chose pour le franglais. »

Un paradoxe linguistique.

En novembre 2017, elle était à l’affiche de la pièce de théâtre Dehors, présentée au Cercle Molière. Son personnage parlait le franglais. Si le mélange francoanglo lui vient naturellement, elle oscille encore entre fascination et rejet.

« Pour moi, le franglais est un peu comme un art urbain. Ça me fait penser aux graffitis, aux tatouages, dans le sens où les plus vieux nous disent : Tu devrais parler comme il faut. »

« La génération précédente, nos parents, se sont battus pour qu’on ait des écoles en français. Alors le franglais a l’air d’un glissement vers l’anglais. Et au fond, je ne suis pas en désaccord avec cette idée. Même si j’aime cette pratique, il y a une partie de moi qui n’aime pas aimer le franglais. »

Les plus jeunes, dit-elle, ne se rendent pas compte de ce que ça représente.

« Pour nous c’est du style. C’est notre manière d’être. Je suis d’accord avec ça et en même temps, les personnes plus âgées ont raison de nous dire de faire attention. »

La langue, un art plastique urbain.

Marie-Ève Fontaine perçoit la langue comme une matière flexible avec laquelle les jeunes s’amusent. «La langue est plastique, on peut la changer. William Shakespeare écrivait des pièces où il inventait toutes sortes de mots, pour que ça rime. Le franglais, c’est notre manière d’exploiter la plasticité de notre langue. Au lieu de rester au sein d’une langue, on joue sur cette dualité. De façon inconsciente, parce que je ne pense pas que la plupart des gens qui parlent le franglais réfléchissent à cela. »

Au fond, ce qui manque au franglais, c’est peut-être une personnalité qui lui serait propre, et qui lui donnerait une raison d’être.

« On peut revendiquer le franglais comme une langue, mais il faudrait qu’il y ait des concepts propres au franglais pour qu’il soit légitime. C’est seulement une langue s’il y a des mots qui désignent des choses qui ne peuvent être désignés en anglais, ou en français. »


Le franglais, un vecteur culturel?

Shawn Jobin. Marie-Ève Fontaine souligne que la culture populaire nordaméricaine écrase bien souvent les références culturelles francophones. « Dans une conversation, ce serait cool de citer le rappeur fransaskois Shawn Jobin au lieu de la série Game of Thrones, mais c’est recherché en maudit. Alors que la culture populaire, tu sais que ça va être reçu et compris. »

Sex, Lies et les Franco-Manitobains. Une pièce de théâtre écrite par Marc Prescott. « Le message qui passait dans la pièce, c’est qu’il y a une hiérarchie des francophones. Et que les francophones sont snobs. Dans la pièce, le personnage qui joue le cambrioleur parle pas mal franglo. Puis la femme, celle qui se fait cambrioler, est une enseignante. Où avez-vous appris à parler si mal? lui demande-t-elle, et il répond, Au Collège universitaire de Saint- Boniface, thank you very much. »

Radio Radio. « Un truc qui donne la légitimité à la langue, c’est des oeuvres culturelles où la langue est utilisée. Par exemple, il y a un groupe de Nouvelle-Écosse qui s’appelle Radio Radio et ils rappent en chiac. »

Patrice Desbiens. « C’est un poète francoontarien, dont l’oeuvre tourne pas mal autour de la dualité linguistique, et comment faire pour laisser deux langues cohabiter sans qu’il y en ait une qui mange l’autre.