Une chronique de John CONLY et John PRESCOTT
Au début du siècle dernier, les maladies attribuables aux infections bactériennes étaient la principale cause de décès au Canada. Au cours des trois dernières décennies, le diagnostic, la prévention et la prise en charge des maladies infectieuses avaient considérablement progressé, laissant espérer que bon nombre de ces infections seraient chose du passé. Ces améliorations spectaculaires ont été attribuables à de nombreux facteurs et surtout à la découverte des antibiotiques.
En revenant à aujourd’hui, encore une fois, nous nous retrouvons dans une situation précaire face aux maladies infectieuses. Quelle est la gravité de la situation?
Prenons le cas de cette femme de 46 ans qui s’est fracturé l’os de la cuisse droite pendant ses vacances à l’étranger. Elle a subi une opération sur place, et elle est rentrée au Canada après une hospitalisation d’une semaine. L’infection a rapidement suivi.
Du pus a commencé à suinter de la plaie, et la dame a eu de la fièvre; on l’a donc admise à l’hôpital local et on lui a administré des antibiotiques à large spectre. Malheureusement, son état s’est détérioré au point de provoquer un choc septique. Des échantillons de sang ont révélé une souche de bactérie résistante à tous les antibiotiques connus. Les médecins traitants ont dû annoncer à sa famille qu’il n’existait aucun traitement antibiotique pour cette « superbactérie ». Malheureusement, le pronostic était extrêmement grave.
Ceci n’est pas un cas isolé, on en voit de plus en plus.
L’émergence mondiale rapide et la propagation de bactéries hautement résistantes sont largement considérées comme l’une des plus grandes menaces pour la médecine et la santé de la population mondiale, mettant en péril les nombreuses avancées médicales réalisées au 20e siècle.
Et le Canada n’est pas à l’abri.
La médecine moderne n’est pas viable sans antibiotiques efficaces. Les infections causées par des bactéries résistantes aux antimicrobiens augmentent à la fois l’intensité de la maladie et les taux de mortalité et engendrent des coûts sociaux et économiques astronomiques.
L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) estime que jusqu’à 50 % des infections humaines dans les pays industrialisés peuvent être résistantes aux antibiotiques courants. Pour sa part, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a signalé une augmentation du taux de mortalité de deux à trois fois plus élevée en cas d’infections résistantes aux antibiotiques.
En l’absence de mesures prises contre la RAM, le récent rapport O’Neill estime que 10 millions de décès par an dans le monde en 2050 seront attribuables à la résistance aux antibiotiques, et le coût entre maintenant et 2050 pourrait atteindre le niveau impressionnant de 100 000 milliards de dollars.
Comment en sommes-nous arrivés à ce point?
La surutilisation insouciante et sans précédent d’antibiotiques à l’échelle mondiale, non seulement chez l’être humain, mais aussi chez les animaux élevés pour l’alimentation et dans la production agricole, a contribué à l’émergence de ces souches de bactéries résistantes aux antibiotiques. Les maladies d’origine alimentaire sont une cause majeure de morbidité et de mortalité humaines dans le monde, et les antibiotiques importants sur le plan médical sont encore largement utilisés dans la production animale, au Canada et dans le monde, dans certains cas sans raison valable.
La bonne nouvelle, c’est qu’on a déclenché une réponse mondiale qui prend rapidement de l’ampleur. Le Canada a un rôle important à jouer.
L’OMS a élaboré un Plan d’action mondial qui repose sur une approche « Une santé » qui intègre les dimensions homme-animal-environnement du problème et ses solutions. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) soutiennent activement les actions mondiales, et les gouvernements et les organisations du monde entier ont accepté de s’attaquer à la menace dans le cadre du Sommet du G20 et à la 71e réunion du l’Assemblée générale des Nations Unies.
Qu’a fait le Canada jusqu’à maintenant?
Le Canada a publié un Cadre d’action pancanadien pluridisciplinaire et multisectoriel ancré dans une approche Une seule santé. C’est un premier pas dans la bonne direction.
Nous avons également constaté de réels progrès sur le terrain au Canada, en particulier auprès des organismes de réglementation animale et agricole. À compter de décembre 2018, tous les antimicrobiens importants sur le plan médical et utilisés chez les humains seront, pour la première fois, disponibles à des fins vétérinaires uniquement sur ordonnance, ne seront pas utilisés comme stimulateurs de croissance et les failles en matière d’importation dans les règlements fédéraux seront corrigées.
L’Académie canadienne des sciences de la santé a également convoqué un important forum national et un groupe d’experts étudiera plus en profondeur la résistance aux antimicrobiens – un autre pas dans la bonne voie.
Or, le Canada doit en faire plus, beaucoup plus.
Le Cadre d’action pancanadien est de haut niveau et propose de bonnes pistes, mais il ne permet pas de faire le travail. Pour 2018, il nous faut un plan d’action national, une feuille de route rigoureuse prévoyant des actions concrètes qui seront menées à l’échelle régionale et locale, là où se prennent la plupart des décisions.
Une telle feuille de route devrait inclure de vastes campagnes de sensibilisation et d’éducation auprès du public, l’amélioration de la prévention et du contrôle des infections, la surveillance de l’utilisation et de la résistance aux antimicrobiens, l’amélioration des processus de réglementation et une augmentation de la recherche pour aider à diminuer la sur-utilisation des antibiotiques dans l’écosystème humain-animal-environnement.
Il est temps que le Canada prenne des mesures concrètes, qu’il ne se contente pas de mettre de l’ordre dans ses propres affaires et qu’il fasse preuve de leadership à l’échelle mondiale pour éviter la menace imminente posée par la résistance aux antimicrobiens.
John Conly est professeur de médecine et codirecteur du Snyder Institute for Chronic Diseases de l’Université de Calgary et membre du Groupe consultatif de l’OMS sur la surveillance intégrée de la résistance aux antimicrobiens. Il a été élu membre de l’Académie canadienne des sciences de la santé en 2006. Il agit comme conseiller expert auprès d’EvidenceNetwork.ca.
John Prescott D.M.V., MACSS est bactériologiste vétérinaire et professeur émérite de l’Université de Guelph. Il a été élu membre de l’Académie canadienne des sciences de la santé en 2008.