La Commission scolaire de langue française (CSLF) est prête à poursuivre la province pour récupérer les millions de dollars qu’elle estime lui être dus.
Par Jacinthe LAFOREST (La Voix acadienne)
Depuis plusieurs années déjà, la CSLF fait savoir, à mots plus ou moins couverts, que le gouvernement provincial se sert des fonds du Programme des langues officielles dans l’enseignement (PLOE) du gouvernement fédéral pour payer des salaires d’enseignants.
« Depuis 2013, nous avons fait toutes les démarches possibles pour que la situation change, en vain. C’est pourquoi, ce matin (24 avril), nous avons mis en demeure la province, et plus précisément le ministère de l’Éducation, du Développement préscolaire et de la Culture, pour qu’il cesse de payer des enseignants avec les fonds du fédéral », a déclaré Émile Galant, président de la Commission, qui a aussi signé la mise en demeure à titre individuel, comme parent et grand-parent ayant droit.
Selon la mise en demeure, le ministère « viole l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés et frustre sa pleine mise en œuvre ».
La CSLF en est arrivée à cette conclusion pour trois raisons :
1- Le ministère ne consulte pas adéquatement la CSLF pour déterminer les besoins de la communauté acadienne et francophone en matière d’éducation. Cette façon de faire serait, selon la CSLF, contraire à l’article 23 qui garantit la gestion scolaire, ce qui comprend les dépenses des fonds prévus pour l’instruction en français;
2- Le ministère se sert des fonds fédéraux dédiés à l’éducation en français pour réduire ses coûts de fonctionnement régulier et payer les salaires de 13,75 enseignants, plutôt que de les affecter aux coûts véritablement supplémentaires de l’enseignement dans la langue de la minorité. La CSLF estime que cela crée, pour elle, un manque à gagner d’au moins un million de dollars par année ;
3- Le gouvernement provincial ne respecte pas la clause 4,3 de l’Entente fédérale-provinciale en matière d’enseignement de langue française. Selon cette clause, la province devrait fournir une « contribution financière équivalente ou supérieure à celle du Canada pour la réalisation de son plan d’action », ce qu’elle ne fait pas, allègue la CSLF.
La mise en demeure déposée le 20 avril donne à la province 90 jours pour donner satisfaction à la CSLF sur ces trois points. Si elle ne répond pas de façon adéquate d’ici le 19 juillet, la Cour suprême de l’Île sera saisie du dossier.
Pour étoffer son action en justice, la Commission scolaire s’est adjoint les services de Maître Mark Power, un des jeunes avocats les plus sollicités pour des questions de droits scolaires au Canada.
Selon lui, le cas de la CSLF et des deux parents signataires (Emile Gallant, déjà mentionné, et Janine Gallant, mère de deux enfants qui vont à l’école Évangéline) est très solide et, en plus, il profite d’une jurisprudence accumulée depuis presque 30 ans sur l’article 23. « L’écart entre la jurisprudence établie en Cour suprême du Canada, unanime, et la réalité, est énorme. Alors oui, les chances sont bonnes », a précisé l’avocat.
Selon Maître Power, l’action de la CSLF tombe à pic. « C’est important d’agir maintenant, car l’Entente fédérale-provinciale 2013-2018 sur l’éducation en français a pris fin le 31 mars dernier. La province est sur le point de s’en aller à Ottawa pour négocier une nouvelle entente. On veut une meilleure entente que la précédente et pour cela, la CSLF doit être à la table. C’est pour cela que c’était important d’agir maintenant », précise l’avocat.
Ce dernier a aussi suggéré que la présente action en justice pourrait être une première étape qui pourrait permettre à la CSLF de récupérer les sommes dont elle estime avoir été lésée depuis cinq ans.
La Fédération des parents de l’Île-du-Prince-Édouard et la Société Saint-Thomas-d’Aquin, deux organismes partenaires de la CSLF dans la réalisation de son double mandat, ont tous deux apporté leur appui à l’action en justice de la CSLF.