Le français suscite un véritable engouement en Amérique latine. Riche de ses racines historiques, s’appuyant sur un enseignement passionné et des réseaux culturels dynamiques, la francophonie rayonne sur le continent. Si la France en a jusque-là été la figure de proue, le Canada français a aussi sa carte à jouer, fort de son expérience en milieu minoritaire.

 

Par Lucas PILLERI (Francopresse)

Le 17e SEDIFRALE a fait salle comble du 5 au 8 juin dernier à Bogota en Colombie. Ce congrès de professeurs de français d’Amérique latine et des Caraïbes réunit tous les quatre ans les amoureux et défenseurs du français dans la région, unis par la même passion.

Denis Desgagné, président-directeur général du Centre de la francophonie des Amériques, n’a pas raté ce grand rendez-vous, témoin de l’engouement local : « Les gens sont passionnés, ils sont heureux de se dire francophones. » Le responsable s’est retrouvé au cœur de cette région dynamique, qui compte 15 millions de locuteurs. « Souvent on ne connaît pas la francophonie environnante et le congrès aide à prendre conscience de toute cette énergie. Le potentiel est énorme », évalue-t-il.

 Une longue histoire de francophilie

Le français est la deuxième langue étrangère apprise sur le continent. En Haïti, il est officiel avec le créole et on dénombre près de 20 % de bilingues. En Argentine, 17 % de la population est d’ascendance française. Au Brésil, ils sont plus de 600 000 à parler français, soit le nombre de Franco-Ontariens.

Tout commence avec la colonisation espagnole et portugaise. Les élites parlent alors le français, lingua franca de l’époque. Puis, les idéaux des Lumières se propagent, jouant un rôle dans l’accession à l’indépendance de plusieurs pays latino-américains. Enfin, différentes vagues d’immigration viendront peupler la région à la suite de l’effondrement de l’empire colonial français.

Aujourd’hui, la vigueur du français repose en bonne partie sur les échanges académiques et l’enseignement. Haydée Silva, professeure de littérature française à l’Université nationale autonome du Mexique, était au Congrès pour représenter les quelque 250 000 Franco-Mexicains. « La première université bilingue franco-mexicaine va ouvrir près de Monterrey, annonce-t-elle. Et une vingtaine de formations sont disponibles pour devenir enseignant de français au Mexique. »

Francine Quéméner, à l’Observatoire de la langue française de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), remarque que le français est un atout pour la mobilité étudiante et professionnelle dans la région : « La Commission pour l’Amérique latine et la Caraïbe (COPALC) est l’une des plus importantes de la Fédération internationale des professeurs de français (FIPF), regroupant 20 pays et des milliers de professeurs. »

En outre, pour beaucoup de Latino-Américains, le français constitue une alternative à l’uniformisation culturelle anglo-saxonne. « La posture de la francophonie est beaucoup plus ouverte. Elle valorise la diversité culturelle et le plurilinguisme, contrairement à l’anglais », analyse Haydée Silva. En tant que « langue sœur » de l’espagnol et du portugais, le français est donc choisi aussi pour des raisons idéologiques.

 Le rôle à jouer du Canada

Outre l’enseignement, la culture joue un rôle moteur, orchestrée surtout par la France. « Il y a une présence culturelle française forte en Amérique latine », avance Haydée Silva, soulignant le très large réseau de 36 Alliances françaises rien que pour le Mexique. Du reste, Francine Quéméner rappelle que la zone totalise 205 Alliances.

À l’inverse, le Canada se fait timide. « Pendant longtemps, le Canada a été à la traîne. Beaucoup de Mexicains ignoraient qu’on parle français au Canada, et ceux qui le savaient ne pensaient qu’au Québec », illustre Haydée Silva. Malgré tout, de plus en plus d’étudiants latinos songent à poursuivre leurs études au Canada, « perçu comme une terre plus accueillante ».

Pour Denis Desgagné, il faut poursuivre les efforts, car le jeu en vaut la chandelle. « En Amérique latine, la France est très proactive, tandis que la francophonie nord-américaine est trop centrée sur elle-même. Mais on prend de plus en plus conscience de l’importance de cette francophonie des Amériques, des nouveaux marchés. Nous avons fait beaucoup de travail en milieu minoritaire, non seulement pour la langue, mais aussi pour l’identité et la culture. Nous avons développé du matériel pédagogique adapté. » Ainsi les leçons de l’expérience canadienne pourraient guider les voisins du Sud « à la recherche de référents culturels ».


Le Costa Rica, le plus francophone des pays latinos?

Le Costa Rica est un exemple représentatif de l’évolution du français en Amérique latine. L’attachement à la langue française y remonte au 19e siècle, lorsque la nation s’inspire de la démocratie française et des Droits de l’Homme pour son indépendance en 1821. Le Code civil est alors calqué sur le Code Napoléon, et le drapeau national revêt les mêmes couleurs que celui de la France. Le gouvernement costaricien rend même l’enseignement du français obligatoire dans les années 1980. Aujourd’hui, c’est d’ailleurs le seul pays d’Amérique latine à l’avoir maintenu comme tel.

Mais la mondialisation et la domination anglophone qui l’accompagne ont changé la donne. Désormais, deux systèmes éducatifs s’opposent : les organismes de la francophonie d’un côté, avec les Alliances françaises, les Instituts français, le Lycée franco-costaricien et les universités, et le système public de l’autre, surchargé et contraint financièrement. Beaucoup repose ainsi sur les épaules des professeurs et d’autres défenseurs du français qui permettent à la langue de subsister.