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Norway House, 31 octobre. Le comité Confiance, réconciliation et accès à la justice de la Cour du Banc de la Reine commence son travail de consultation en rencontrant des Chefs et Conseillers de bande du Nord du Manitoba. Le juge en chef Glenn Joyal avait vanté le potentiel de ce comité dans son discours lors des admissions au barreau de 2017.

Par Gavin BOUTROY et Barbara GORRAND

«C’est un bon gars, mon fils. Mais il s’est retrouvé pris dans une histoire. Et de là dans le système judiciaire. En liberté conditionnelle le temps que l’affaire soit jugée, il n’a pas pu honorer les rendez-vous fixés par la justice. Je veux dire, quand vous habitez une réserve du Nord, il faut prendre l’avion pour aller jusqu’à la ville, payer un hôtel, on fait comment?

« Petit à petit, les manquements aux conditions de sa liberté se sont accumulés. Quand l’affaire a fini par être jugée, il a été mis hors de cause. Mais il en est quand même à un an de prison pour inobservation des conditions de sa liberté. »

Aberrant? Et pourtant. Ce témoignage anonyme n’est pas singulier. Dans n’importe laquelle des 30 Premières Nations du Nord de la Province, réunies au sein de la Manitoba Keewatinowi Okimakanak (MKO), ces situations sont devenues habituelles.

C’est pourquoi, en ce 31 octobre à Norway House, les visages sont tendus dès le réveil.

8 h 25 du matin. Six juges de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba débarquent à l’aéroport. Il y a là quatre des cinq membres du comité Confiance, réconciliation et accès à la justice (Trust, Reconciliation and Access to Justice) : Kaye Dunlop, Sadie Bond, Lore Mirwaldt, et le juge en chef, Glenn Joyal, ainsi que les juges en chef adjoints Marianne Rivoalen et Shane Perlmutter.

Au fil de la matinée, arrivent Chefs et Conseillers de bande de Nations membres de MKO. Et si, dans cette assemblée, juges et leaders autochtones sont assis les uns à côté des autres, il n’en reste pas moins que la salle est clairement divisée.

Avec, d’un côté, les juges de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba, venus selon les propres termes du juge en chef Glenn Joyal « en toute humilité pour entendre, apprendre et comprendre », et faire le premier pas « d’un long chemin » vers des relations de confiance.

Et de l’autre, les Chefs et Conseillers de bande des communautés du Nord, qui ont profité de la tribune qui leur était offerte pour faire le procès d’une justice dans laquelle ils ne se reconnaissent pas. « Votre système, nos peuples », comme l’a martelé Cathy Merrick, Chef de la Nation crie de Cross Lake, résumant la dichotomie qui oppose les rouages judiciaires établis aux coutumes ancestrales.

Tenter de bâtir des relations de confiance sur ce terreau de ressentiments ne sera pas facile, et l’initiative des juges de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba d’aller à la rencontre des peuples autochtones pour poser cette première pierre symbolique n’en a que plus de mérite. Mais il faudra bien plus qu’un auditoire, aussi attentif soit-il, pour convaincre les Premières Nations du Manitoba que la justice les a entendus.

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Sheila North Wilson : « Un effort vers la réconciliation »

La Grande Chef du regroupement des Premières Nations du Nord du Manitoba, Keewatinowi Okimakanak (MKO), Sheila North Wilson, était l’une des invités de marque de ce sommet autour de la justice qui s’est tenu à Norway House.

Quel est votre sentiment général sur le déroulement de cette journée?

S. N. W. : Je pense que les Chefs, les Anciens et tous les délégués sont parvenus à communiquer au comité de la Cour que le système judiciaire actuel pèse sur les peuples autochtones, et qu’il y a de nombreuses raisons à cet état de fait. Le système de protection de l’enfance, avec ses taux très élevés d’enfants dans des foyers d’accueil, la proportion de personnes autochtones parmi les détenus, les femmes et filles autochtones disparues et assassinées, le rôle de la police, la pauvreté, les écoles résidentielles, la Loi sur les Indiens…

Tout est lié et permet d’expliquer comment les Autochtones se retrouvent devant le système judiciaire. Et une fois qu’ils y sont confrontés, une sorte de cercle vicieux s’enclenche. Évidemment, le comité à lui tout seul ne peut pas résoudre tous les problèmes. Mais il était nécessaire que les juges entendent, pour pouvoir jouer pleinement leur rôle dans la réconciliation. Et aussi pour qu’ils passent le message aux autres services.

Justement, cela n’a pas été abordé, mais ne serait-il pas utile que toutes les personnes qui travaillent auprès des différents services gouvernementaux viennent constater sur place la réalité de la vie dans les réserves?

S. N. W. : Pas seulement de constater, mais d’en prendre pleinement conscience. Cela permettrait de comprendre notre point de vue, pourquoi nous croyons aux alternatives à l’enfermement en prison. Ça leur permettrait aussi de saisir tout l’enjeu de nos lois autochtones, qui régissaient nos communautés bien avant la mise en place de l’État canadien.

Aujourd’hui, les Conseils de Bandes chargés d’appliquer nos lois traditionnelles sont confrontés aux plus grandes difficultés parce qu’ils ne sont soutenus ni par les gouvernements fédéral et provincial, ni par les services de police et la justice. Avant, nous avions nos propres modes de gouvernements. Ça fonctionnait, et c’est vers un tel système que nous voulons revenir.

Cette journée se déroulait dans le cadre du processus de Réconciliation; au vu de ce qui a été évoqué, pensez-vous qu’il soit possible de réconcilier ces deux systèmes de pensée?

S. N. W. : La venue des juges à Norway House constitue déjà un effort vers la réconciliation. Plus on fera d’efforts, plus on parviendra à une meilleure compréhension. J’ajoute que les efforts doivent également venir de notre côté, parce que nous avons, à juste titre, beaucoup de difficultés à faire confiance au système. Il nous faut travailler sur ce manque de confiance.