Au pays des princes William et Harry et du plum-pudding, le Canada fait parler de lui. Un colloque sur La langue et l’identité dans la francophonie canadienne a rassemblé, cet été à Londres, une vingtaine de spécialistes. Ils se sont penchés sur cette épineuse question concernant le rôle de la francophonie canadienne dans l’identité canadienne.

Par André Magny (Francopresse)

Tout est parti d’une déclaration de Justin Trudeau en 2015 au New York Times. Quelque temps après son élection, le jeune premier ministre canadien avait déclaré que, selon lui, le Canada n’avait « pas d’identité fondamentale, pas de mainstream », bref, qu’il considérait le Canada comme le premier pays post-nationaliste. La chose avait suscité quelque vive réaction au Québec et, dans certains journaux de Toronto et de Vancouver, on a essayé de comprendre ce que M. Trudeau voulait vraiment dire.

À Londres, le Centre for Quebec and French-Canadian Studies (CQFCS) a voulu en savoir un peu plus sur cette question. Se pourrait-il que la francophonie canadienne soit dépassée? Ça valait bien le thème de son 6e colloque annuel.

Selon l’organisatrice principale du colloque, Ruth Kircher, professeure à l’Université Liverpool Hope, environ 35 personnes ont assisté aux diverses conférences données à la Senate House. Une vingtaine d’universitaires européens et nord-américains, mais aussi des personnes évoluant dans le contexte des langues officielles du Canada s’y sont donné rendez-vous.

Deux langues : plusieurs avenues

Non seulement l’aspect sociolinguistique était-il présent, mais l’ensemble des communications ratissaient large. Valérie Lapointe-Gagnon de l’Université de l’Alberta a présenté à ces anglophones qui sont montés aux barricades pour la défense de la dualité linguistique, Xavier Gélinas du Musée canadien de l’histoire, le traitement muséal des francophones hors Québec et des anglophones du Québec.

Le recensement canadien et la construction sociale, la visibilité des artistes francophones dans les différents médias, les politiques éducatives et pratiques des acteurs dans les écoles franco-ontariennes en plus des enjeux identitaires de la formation langagière pour immigrants adultes en milieu francophone minoritaire.

Bref, impossible de passer à côté de la réalité de la société canadienne. Certains sujets touchaient l’ensemble du Canada, alors que d’autres étaient spécifiques à diverses régions comme l’Acadie, l’Ontario ou l’Ouest canadien et le Québec.

Surprenant, un tel colloque à Londres? Leigh Oakes, professeur à Queen Mary University of London, estime qu’une quinzaine d’universitaires pourraient se dire « québécistes ».

« Pour ma part, je m’intéresse à la sociolinguistique, et plus spécifiquement à la politique linguistique. Mais mes collègues font de la recherche dans d’autres aspects de la culture québécoise : le cinéma, la littérature, le théâtre, les études urbaines, les médias, etc. Nous nous rejoignons dans le cadre du Centre d’études québécoises et franco-canadiennes et de l’Association britannique d’études canadiennes, cette dernière regroupant des “canadiennistes”. »

À la Senate House, le professeur Oakes a présenté une conférence ayant trait sur La justice linguistique pluricentrique au Québec : les arguments moraux en faveur d’un français québécois standard.

Autrement dit, les Québécois francophones devraient-ils respecter une norme définie à partir de la France ou plutôt « promouvoir un standard du français local qui reflète l’usage socialement acceptable tel que déterminé par les Québécois francophones eux-mêmes? »

Les mêmes questions peuvent sans doute s’appliquer à l’ensemble des Franco-Canadiens face au français du Québec. Ces notions d’autorité et de légitimité linguistique sont, selon l’auteur de Langue, citoyenneté et identité au Québec paru aux Presses de l’Université Laval et cosigné avec la Britannique Jane Warren, « influencés par plusieurs facteurs, dont l’identité nationale. »

Évolution chez les anglophones

Le colloque londonien a permis aussi à des Canadiens anglophones d’ouvrir le débat sur d’autres perspectives. C’était le cas avec l’historien de l’Université Guelph, en Ontario, Matthew Hayday.

Sa conférence portait sur le fait français et les politiques identitaires au Canada anglais depuis la Seconde Guerre mondiale. On le sait, l’évolution du fait français au Canada est l’aboutissement de plusieurs luttes menées par les francophones dans les années 1960 et 1970.

Parallèlement à ces revendications, « une fervente opposition à toutes mesures pouvant entraîner le Canada hors de son modèle identitaire anglo-saxon » était fortement présente chez les anglophones. Cette réticence semble s’être estompée dans les années 1990… Curieusement après le 2e référendum au Québec, « l’hostilité cédant la place à l’apathie ».

Depuis, les classes d’immersion en français sont de plus en plus populaires, constate le professeur. Pour plusieurs anglophones, l’espoir d’avoir pour eux et leurs enfants des emplois plus avantageux et une meilleure éducation a maintenant préséance sur l’aspect nationaliste de l’identité canadienne quand il s’agit d’apprendre la deuxième langue officielle.

Mais suffit-il d’apprendre une langue pour adhérer à sa culture? Peut-on être francophone et francophobe? Et à l’inverse être francophile, mais anglophone ou allophone? « Toute langue assume des fonctions instrumentales et identitaires », selon Leigh Oakes. « L’identité associée à une langue spécifique n’est pas la même pour tout le monde. »

Pour un nouvel immigrant, le français aura au début une fonction plus instrumentale. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de fonction identitaire avec le temps. Cette identification n’est pas la même pour tous les francophones. Un Sénégalais déménageant en Alberta pour travailler au sein d’un organisme francophone n’aura pas la même perception que le Québécois parti pour y faire un coup d’argent.

L’universitaire conclut en disant que nous sommes en présence de deux phénomènes distincts : « parler une langue n’équivaut pas forcément qu’on se rallie à la culture et à l’histoire qui y sont associées, tout comme on peut se rallier à une culture et à une histoire sans parler la langue qui y est associée. Pensons à beaucoup de Louisianais, qui tiennent à leur culture et leur histoire, sans pour autant parler français. »