Candace Lipischak expose ses oeuvres d’étain, à la Maison des artistes. Son exposition s’intitule «Déterré» (1). Son art lui a permis de reconnecter avec sa culture métisse et de se sortir d’un choc traumatique.

Par Marie BERCKVENS

Depuis maintenant deux ans, Candace Lipischak est au contact de vieux objets auxquels elle redonne une seconde vie. Deux années intenses où elle a déjà pu réaliser l’un de ses rêves. Après une exposition en 2016 à Wasagaming, dans le parc national du Mont-Riding, en 2017 à La Fourche pour le Musée des beaux-arts, la voilà à la Maison des artistes visuels francophones, pour elle, une vraie consécration.

« C’est un peu surréel, tout est arrivé tellement vite. Avant, le temps passait très lentement. Je savais que je n’étais pas où j’étais censée être. Aujourd’hui, je me considère un peu entrepreneuse. Je jongle avec plusieurs chapeaux : le site web, les photos, mes bijoux, mon art. Il faut travailler chaque jour. Mais en même temps, ce n’est pas un travail. Tout me vient du coeur. C’est une carrière d’amour d’art. »

Sa production, elle la qualifie d’art outsider ou d’art brut. Autodidacte, Candace Lipischak, trouve des pièces d’étain abandonnées dans des jardins, des terrains ou dans la Rivière-aux- Rats, à Otterburne. Ça peut être des couvercles de barils d’essence, des boîtes de conserve, des scies, des seaux… « Le supermarché, ça appartient au présent. Les pièces que je ramasse viennent du passé. Je cherche à faire entendre la voix du passé dans le présent. Qu’estce que cette boîte était auparavant? Ces lames-là? À quoi ça servait? Il y a tellement de personnalité dans ces objets-là. »

Lorsqu’elle a trouvé les bonnes pièces, l’artiste amoureuse de la campagne se penche sur leurs angles, leurs textures pour les assembler au fil de son intuition. « C’est comme un casse-tête. C’est ma façon de recycler aussi. Cela fait presque 100 ans que ces choses sont à l’abandon. Évidemment, ça prend du temps pour qu’elles se décomposent et rejoignent intégralement la nature. Mais leur coexistence est fascinante. Mère nature va pousser à travers elle, peu importe la teneur de l’objet. »

Son matériau fétiche, l’étain, elle le compare à du papier. Elle aime le plier, le couper, le façonner comme elle l’imagine. Elle le perçoit comme une matière vivante. Un matériau qui la porte et la soulage. Alors qu’elle avait 21 ans, Candace Lipischak a vécu un évènement qui continue de la tourmenter.

Elle était présente lors d’un vol armé, dans une banque, proche du Parc Windsor. « Ça s’est passé pas longtemps après que j’ai été diagnostiquée avec la sclérose en plaque. Ça a été un choc pour moi. Les voleurs ont failli me tirer dessus. Plus tard, ma mère m’a dit que je n’étais plus pareille. Ça m’a détruite. J’ai souffert longtemps du syndrome post-traumatique.

« Cela m’a pris presque une vingtaine d’années pour pouvoir sortir de ma coquille, de trouver quelque chose qui me calme. L’art m’aide beaucoup depuis deux ans et demi. Cela me soulage en même temps, de travailler avec mes mains, de mettre des pièces ensemble. Plus je mets des pièces ensemble, plus je m’assemble. Je me sens d’ailleurs de plus en plus forte. »

Dans son processus de création, l’inspiration lui vient comme une pulsion. Ensuite, arrive le message. Un jour, elle a réalisé en étain, Louis Riel, un autre jour, un ours ou encore un bison, tous en référence à sa culture métisse (voir encadré). Récemment, elle a créé une oeuvre intitulée « Je rêve d’eau propre pour notre peuple. » « C’est un couvercle d’étain. J’ai fait un capteur de rêve dans le centre. Il y a des morceaux de corne de caribou. Ça représente les gouttes d’eau. Même à notre époque, en 2018, il y a toujours du monde qui n’a pas accès à l’eau potable. C’est aberrant pour moi. Cela concerne plusieurs réserves traversées par des pipelines qui parfois rendent l’eau impure. »

Candace Lipischak fourmille déjà d’idées pour l’avenir. Une autre exposition sera consacrée à son travail, dans le quartier de la Bourse en 2020. En avril prochain, dans le cadre du programme ArtSmarts, elle animera un atelier à l’école de Saint-Joachim.

« Je vais initier 220 élèves à la peinture à points métisse (dot painting). Chaque production représentera une perle métisse pour former ensemble un grand design de perlage métisse. Ça prend plus qu’une perle pour faire un design de perlage. Comme ça prend plus qu’une personne pour faire une communauté, une classe, une école, une couple d’amis… » (1)

L’exposition « Déterré » est actuellement visible à La Maison des artistes visuels francophones, jusqu’au 24 novembre. Une causerie avec Candace Lipischak est organisée le 18 octobre, à 18 h. Un atelier de peinture a aussi lieu le 24 novembre, de 13 h à 16 h.


On se nourrit l’un l’autre

En 2015, avec son père, Candace Lipischak a créé son entreprise de bijoux qu’elle a appelée Fatdaug, pour Father, daughter (1). « Mon père, quand il était jeune, a subi le harcèlement. Il s’est fait pousser dans le fossé. On lui prenait ses objets personnels. Après un bout de temps, on se tanne de tout ça. Alors, il a arrêté l’école. Quand tu as des souvenirs d’enfance si négatifs, on hésite à retour ner dans ce temps-là. En fait, ça lui a pris beaucoup de temps de réaliser que c’est une bonne chose d’être métis. »

Pour l’aider à se réconcilier avec sa culture d’origine, Candace Lipischak confec – tionne avec son père des bijoux à base de ramures d’originaux, de chevreuils et de wapitis… « Quand on travaille ensemble, il aime vraiment ça. Je veux qu’il le ressente sans avoir le stigmate d’être, comme disaient les Anglais dans le temps, un half breed. De plus en plus, il commence à embrasser la culture métisse. Notre art commun lui donne une façon de pouvoir s’exprimer et de raconter notre histoire en même temps. On se nourrit l’un l’autre. »

(1) www.fatdaug.com