Début 1976, Georges Forest recevait une contravention uniquement en anglais. Il a décidé de porter sa cause en faveur du français devant les tribunaux. La Cour suprême a rendu sa décision en décembre 1979. Récit d’une année en 9 qui a marqué un retour historique des droits linguistiques.

Par Marie BERCKVENS

Premier Voyageur officiel du Festival du Voyageur en 1970, Georges Forest est avant tout un précurseur, un pionnier qui aimait prendre à bras le corps une cause, aussi perdue soit-elle. Raymond Hébert, professeur émérite de sciences politiques de l’Université de Saint-Boniface, exprime en tout cas cette conviction :

« C’était un homme qui n’était pas du tout collégial au départ. Il faisait cavalier seul dans toutes sortes de domaines. Par exemple, il était en désaccord avec certaines décisions de la Centrale des caisses populaires. Il a commencé alors sa propre structure qui a duré un certain temps mais qui était vouée à l’échec. Il s’est aussi présenté aux élections fédérales comme candidat du parti Crédit Social, un parti de droite marginal. Il n’avait aucune chance de l’emporter. C’était typique de Georges. Il aimait les causes, préférablement les causes perdantes. »

Quelques années plus tard, Georges Forest recevait à Saint- Boniface une contravention rédigée uniquement en anglais. Il soutenait que sa contravention allait à l’encontre de la loi de la Ville de Winnipeg, qui stipulait que tous les avis, factures, déclarations ou demandes devaient être envoyés en français et en anglais à tous les résidents de l’ancienne Ville de Saint- Boniface, amalgamée à Winnipeg à partir de janvier 1972.

Il n’a pas fallu longtemps pour mobiliser l’activiste qui sommeillait en lui. Raymond Hébert raconte : « Il s’est lancé et puis il a dit au monde : Appuyez-moi. Il a agi un peu à l’envers. C’est pour ça qu’il n’a pas eu un soutien très important de la part de la communauté francophone. Encore une fois, c’était typique de sa personnalité. Par contre, il faut lui accorder le fait qu’il était très tenace. C’est un peu comme l’histoire du chien avec son os. Sa ténacité lui a bien servi dans cette cause-là. »

En juillet 1976, à la première étape de son parcours juridique, un juge de la Cour provinciale invoque l’Official Language Act de 1890 pour rejeter la demande de Georges Forest.

La Loi sur la langue officielle de 1890 au Manitoba avait été adoptée 20 ans après la Loi sur le Manitoba. Elle faisait de l’anglais la seule langue officielle. Raymond Hébert poursuit : « Ça a donné à Georges Forest une raison supplémentaire pour aller plus loin dans la défense des droits linguistiques. Georges Forest est alors parti en guerre. »

À l’époque, Georges Forest s’est même exclamé : « Je me trouvais maintenant face à une loi qui écrasait les droits linguistiques fondamentaux reconnus aux Franco-Manitobains par les Actes de l’Amérique du Nord britannique, qui ont établi la Confédération (1). »

En effet, les avocats de Georges Forest soutenaient que la Loi de 1890 violait l’article 23 de la Loi sur le Manitoba adoptée en 1870. Raymond Hébert précise : « Cet article stipule que les lois doivent être adoptées dans les deux langues pour être valides, que les francophones ont droit à un procès en français et le droit de parler le français durant les débats à l’Assemblée législative. »

Le 13 décembre 1979, la Cour suprême a donné raison à Georges Forest et a déclaré que l’Official Language Act était anticonstitutionnel. Mais la Cour est restée muette sur les conséquences de son arrêt. Pour Raymond Hébert, « le cas Forest appelait le principe du rétablissement de l’article 23 de la Loi sur le Manitoba de 1870, mais il manquait sa mise en pratique ».

Le gouvernement provincial conservateur de Sterling Lyon a refusé de traduire les lois dans les deux langues officielles. Il a fallu le cas Bilodeau pour débloquer la situation. Le jeune juriste Roger Bilodeau s’était assuré d’obtenir une contravention pour excès de vitesse rédigée uniquement en anglais.

Raymond Hébert résume le périple juridique de Roger Bilodeau : « Il a finalement perdu sa cause. Il a été obligé de payer sa contravention. Mais entre-temps, il avait gagné la guerre entamée par Forest, quand le gouvernement fédéral a pris la cause en main dans un renvoi en Cour suprême. Dans son arrêt de 1985, les juges suprêmes ont statué que toutes les lois adoptées depuis 1890 étaient anticonstitutionnelles,ultra vires, car elles n’avaient pas été adoptées simultanément en anglais et en français. »

S’en est suivie une période de négociations entre la Société franco-manitobaine et le gouvernement provincial pour fixer une liste de lois à traduire. « Ça faisait environ 300-400 lois essentielles. Les autres étaient désuètes et n’avaient plus de raison d’être.

« La Cour suprême avait fixé un délai pour que la Province puisse entrer dans la légalité. Avec le cas Forest, c’était clair que la loi de 1890 était inconstitutionnelle par rapport à l’article 23 de la Loi sur le Manitoba de 1870. Le principe était établi. Bilodeau a bâti sur le principe. Sans Forest, il n’y aurait pas eu de Bilodeau, et sans Bilodeau, il n’y aurait pas eu la pleine application de l’article 23. Les deux sont des acteurs essentiels dans l’histoire constitutionnelle du Manitoba. »

(1) http://www.mhs.mb.ca/docs/ mb_history/64/dividedminority.shtml