Si vous n’avez pas eu l’occasion de visionner le film de Danielle Sturk El Toro en novembre dernier, il sera de nouveau diffusé au Cinematheque les 9 et 10 février à 19h, les 13 et 14 février à 21h et le samedi 16 février à 15h.
Retrouvez ci-dessous l’article sur le travail de Danielle Sturk, publié dans La Liberté du 28 février 2018.


Vous souvenez-vous du El Toro? C’était jusqu’au milieu des années 1970 un diner situé au coin de la rue Marion et de la route Dawson. Aucune image d’archives n’en témoigne aujourd’hui. C’est ce lieu, où ont travaillé sa mère, ses oncles et ses tantes, que la cinéaste Danielle Sturk fait le pari de faire revivre.

Dans une petite salle des locaux du Winnipeg Film Group, plongée dans la pénombre, les cinéastes Danielle Sturk et Rhayne Vermette s’affairent autour d’une imposante machine, articulée autour d’une caméra, dont l’objectif est tourné vers une table de montage.

Sur la table, dans un cadre, on découvre un décor composé d’éléments en papier : un restaurant, un homme attablé, une serveuse, une vache, et une enseigne : El Toro.

Avec cette machine, appelée Oxberry, les deux artistes utilisent la technique d’animation en volume (stop-motion) : elles prennent une photo du cadre, puis déplacent les éléments du décor de quelques millimètres, et répètent le geste, pour créer l’action.

Un art visuel que la réalisatrice bonifacienne n’avait encore jamais exploité. Danielle Sturk ne souhaitait pas se limiter à un seul média pour redonner vie au restaurant où a travaillé la famille de sa mère dans les années 1960 et 1970.

« C’est d’abord une histoire audio que j’ai composée, après cinq ans d’entrevues avec ma mère et ses sept frères et sœurs, qui parlent de ce diner disparu, tenu par mes grands-parents. Un petit édifice de rien, entouré d’abattoirs, où les camionneurs venaient manger. »

Avec ces témoignages pour point de départ, la réalisatrice souhaite recréer le lieu en utilisant pas moins de quatre style visuels différents : prises de vue réelles, animation en volume, animation 3D et maquettes.

Pour réussir son pari, elle a convoqué les efforts d’autres artistes (1), parmi lesquels l’artiste Rhayne Vermette pour les séquences en stop-motion.

« Les autres artistes n’apportent pas juste leur expertise, mais aussi leur style d’animation. Ils rentrent dans la vision de l’histoire et la desservent. On compose ensemble. »

L’œuvre finale, qui n’a pas encore de date de sortie, sera un documentaire d’environ 45 minutes à caractère biogra­phique, découpé en neuf chapitres. La cinéaste y mêle les perspectives de chacun des membres de sa famille maternelle, sans se fixer sur une seule version de l’histoire.

« J’ai entendu pendant des années des histoires roman­tiques de cet endroit. J’ai trouvé ça tellement coloré, je voulais l’animer en mélangeant les couleurs. Pour moi les différents arts visuels qu’on emploie sont comme les différents points de vue des enfants.

« Et puis il y a tout le folklore qui s’est développé à travers les années, quand on raconte et re-raconte ces histoires. Je suis tombée en amour avec ce genre de mythologie familiale. »

Pour Danielle Sturk, il est évident que la voie de l’abstraction pour évoquer El Toro permet d’en dire plus. Et, d’une certaine façon, de créer son propre souvenir du restaurant.

« J’étais déçue qu’il n’y ait pas de photos d’archives. Mais ça nous permet une liberté d’interprétation. Entre les scènes dramatiques, la maquette, et ce décor, ce n’est pas exactement le même lieu. Quand mes oncles et tantes se souvenaient, par exemple, d’un poste de radio, pour certains il était bleu, pour d’autres il était rouge. Dans le film, je vais utiliser les deux couleurs. »

Vers 1975, ses grands-parents ont mis la clé sous la porte et sont partis vivre à Calgary. Pour Danielle Sturk, la perspective de sa mère, aînée de la famille, sur ce lieu où elle fut serveuse, est particulièrement intéressante.

« Ma mère avait écrit une courte histoire là-dessus. Elle avait gagné un prix au Winnipeg Free Press. À l’époque elle avait une attitude assez snob envers la place. Elle voulait aller à l’université, quitter ce lieu et cette classe travailleuse. À la fin, quand ils ont démoli l’endroit, elle a réalisé qu’elle avait beaucoup appris de ces gens-là. »

(1) Les illustrations utilisées pour les séquences d’animation en volume sont de Diana Thorneycroft. Les maquettes ont été réalisées par Peter Graham. Pour l’animation 3D, Danielle Sturk va collaborer avec Stephanein Boulet.