Un Festival du Voyageur sans sculptures sur neige? Impensable depuis au moins trois décennies. Cette alliance entre les neigistes et la grande fête d’hiver trouve ses origines dans la volonté créatrice de Réal Bérard, qui avait pris son inspiration des Inuits.

Par Bernard BOCQUEL

À 83 ans, Réal Bérard porte avec humilité le titre de doyen des neigistes canadiens. En 1964, alors qu’il travaillait au gouvernement, c’est sous l’impulsion de son patron, le responsable des parcs provinciaux Walter Danyluk, qu’il patente au lac Falcon sa première sculpture à base de neige.

Réal Bérard : « On était à zéro. Quand des années plus tard on allait au Carnaval de Québec, on travaillait encore avec de la neige et de l’eau pour faire des sculptures en barbotine, sans armature. C’est vraiment des Inuits qu’on a appris. Leur monde, c’est la neige. Eux, ils la taillaient. »

Le Festival du Voyageur a permis de développer la sculpture sur neige en fournissant des blocs de neige et en permettant la tenue d’un Symposium international, dont les tout débuts remontent à 1989. Cette année-là, trois billets d’avion étaient disponibles et Réal Bérard a établi le contact avec le sculpteur Gustavo Bermudez du Centro historico de Mexico qui «n’avait jamais entendu parler de la sculpture sur neige et qui est venu plusieurs fois jouer avec nous dans l’éphémère. La première fois avec Theresa Millan et Bruno Vasquez ».

David MacNair et son groupe d’amis sont en charge depuis une bonne vingtaine d’années de l’entrée monumentale au Parc du Voyageur. (1) Il s’était déjà essayé plusieurs fois à la sculpture avec la matière éphémère, mais c’est en février 1988 que s’est produit sa grande rencontre avec Réal Bérard, qui avait entrepris avec son ami poète Jim Tallosi de rendre hommage à Félix Leclerc en taillant d’un gros bloc blanc Le train du Nord, l’histoire un peu surréaliste d’un petit train qui n’arrive jamais à l’heure. (2)

« À un moment, Réal m’a passé sa truelle : Suis cette ligne-là, passe à travers, et ensuite suis cette courbe-là. J’ai pris son instrument. J’étais un peu nerveux. Après un temps, j’ai entendu : Il va être dangereux, celui-là! C’est cette tape sur l’épaule qui me pousse encore aujourd’hui. »

Dès l’année suivante, Réal Bérard lui propose de remplacer Gary Tessier, qui avait eu un empêchement, pour former avec Jim Tallosi l’équipe du Manitoba au Carnaval de Québec. « On avait fait Quand le missile deviendra colombier (voir p. 6). À l’époque, on travaillait avec la grande scie, le godendart. Ce projet a consolidé notre complicité. »

S’il ne sculpte plus activement, le pionnier des neigistes reste néanmoins présent. David MacNair : « Depuis quatre ans maintenant, Réal a intégré notre équipe comme pelleteur. Il continue de nous inspirer. Grâce à son oeil. Le défi du neigiste, quand il a le nez collé sur un gros bloc, c’est de perdre le sens des lignes, des volumes. Un regard critique depuis une certaine distance est essentiel à la réussite d’une sculpture. Les suggestions de Réal sont toujours prises à coeur. On sait bien que c’est le maître qui a raison. »

Comme l’a souvent dit Réal Bérard : « La neige, c’est la plus imprévisible des matières. C’est nous qui sommes à son service et pas l’inverse. Parce que la neige obéit au temps, c’est elle la vraie maîtresse. » Une leçon de réalisme et d’humilité dorénavant rappelée par un récipiendaire de l’Ordre du Canada.

(1) Les coéquipiers de David MacNair sont Barry Bonham, Dave Maddocks et Jim Alexander, avec un mention spéciale pour le pelleteur de longue date Gerry Paquin, surnommé Sisyphe.

(2) Dixit Réal Bérard sur cette sculpture : « D’habitude quand on représente un train on voit les roues qui tournent sur les rails. Là c’est le rail qui tourne autour de la roue. »