Raymond Poirier, le récipiendaire du prix Boréal 2019 de la Fédération des communautés francophones et acadienne, a prononcé un discours qui a été très bien accueilli par la centaine de personnes présentes lors de la cérémonie le 6 juin 2019. (1)

Par Ophélie DOIREAU

La prix Boréal a été l’occasion pour Raymond Poirier, à l’origine de plusieurs organismes francophones à l’échelle provinciale et aussi fédérale, de faire un retour en arrière sur plus 45 ans de militantisme.

Raymond Poirier explique : « Au début de mon engagement; il y avait très peu d’institutions francophones. On avait essentiellement la Société francomanitobaine, et des groupes de parents qui se battaient pour des classes françaises et des écoles françaises. On se battait pour avoir nos propres institutions. »

Cependant, Raymond Poirier fait valoir que le discours d’il y a 50 ans, malgré toutes les évolu – tions positives enregistrées au niveau de la francophonie, n’a pas réellement changé.

Il précise sa pensée : « On a été obligés et on est encore obligés de chialer pour obtenir quelque chose du gouvernement. Moi, j’appelle ça du bilinguisme de concession. C’est fatigant, ça use et ça ne nous permet pas de changer de mentalité. »

Le message que Raymond Poirier a tenté de faire passer lors de son discours se résume assez simplement : il faut repenser l’esprit dans lequel on agit pour passer d’un bilinguisme de concession à un bilinguisme d’adhésion.

Dans son discours, il a aussi souligné le fait que dans bien des cas, le bilinguisme n’avance qu’avec l’aide des tribunaux. Il renforce son raisonnement : « On est toujours dans une logique d’imposer quelque chose. Les juges font du bilinguisme basé sur des principes juridiques. »

Raymond Poirier a été un des signataires, en 1977, du document Les Héritiers de Lord Durham, du nom du Lord anglais qui, après la rébellion de 1738, avait décidé qu’il fallait « absolument assimiler ces Canadiens français qui n’avaient pas de culture ».

Ce document a été la première narrative qui s’inscrivait toujours dans une logique de bilinguisme de concession. « Avec la publication des Héritiers de Lord Durham, on avait inventé un discours de revendication pour obtenir des concessions. » Mais aujourd’hui, pour le militantvétéran franco phone, cette manière de penser est révolue : « Il est temps de repenser notre narrative, de prolonger notre pensée pour l’inscrire dans le 21e siècle. Autrement dit, d’en arriver à un bilinguisme voulu par une majorité. Il faut que les mentalités évoluent. »

Pour construire ce bilinguisme d’adhésion, Raymond Poirier suggère : « Il faut que quelqu’un s’assoit et repense le discours de manière cohérente, tant du côté des communautés que du côté du gouvernement. Il faut repenser le discours comme un vrai partenariat. »

Lors de la cérémonie, Raymond Poirier s’est bien rendu compte que pour bien des personnes présentes, la francophonie a commencé dans les années 1980 parce qu’ils n’étaient pas conscients du document de Lord Durham. Sa meilleure illustration, c’est de prendre son propre cas : « Je te donne comme exemple mes enfants. Ils ont eu le choix de quatre ou cinq écoles françaises pour obtenir leur éducation, alors toutes les batailles scolaires qui ont mené à cette possibilité ne sont pour eux que des histoires. Mais pas du vécu. Alors on comprend que Les héritiers de Lord Durham, cela n’a jamais été une réalité pour eux. »

Raymond Poirier revient à la dimension canadienne : « Il faut penser le bilinguisme d’adhésion comme le ciment du Canada. C’est un idéal à atteindre pour le pays. Je ne peux pas mieux le résumer que de citer la fin de mon discours :

« La FCFA a presque 50 ans. Il importe maintenant qu’on fasse un effort particulier pour élaborer une narrative cohérente qui permettra de développer cette notion d’esprit d’adhésion qui, à son tour, permettra de générer une volonté politique constante qui nous a manquée au courant des premiers 50 ans. » Une conclusion qui a valu à Raymond Poirier plus d’une centaine de réactions, dont quelques dizaines qui ont précisé qu’ils avaient trouvé son discours inspirant.


(1) Parmi les personnalités présentes, outre des représentants de tous les partis politiques, il y avait Mélanie Joly, la Ministre du Touris – me, des Langues officielles et de la Francophonie du Canada, ainsi que Raymond Théberge, le Commissaire aux langues officielles.