Joanne Colliou, gestionnaire de la Coalition francophone de la petite enfance du Manitoba, a reçu un diplôme honorifique de l’Université de Saint- Boniface pour sa contribution à la petite enfance. Portrait d’une femme déterminée à toujours tirer vers le haut sa profession, où les défis sont constants.

Par Mathilde ERRARD

Joanne Colliou marche au positivisme. « Quand un membre de mon équipe est négatif, on discute. Je lui dit : OK, qu’est-ce qui se passe? Comment on peut faire pour être positif? » La gestionnaire de la Coalition francophone de la petite enfance du Manitoba (1) depuis 2007 lance avec un sourire : « La vie est trop courte! Ce qui me motive tous les jours, c’est d’être entourée de personnes positives dans mon équipe de 16 coordinatrices, avec parfois jusqu’à 30 personnes à contrat en même temps. J’apprécie de les voir s’épanouir et grandir, tout comme les enfants. »

Garder l’esprit positif est d’autant plus important dans le domaine de la petite enfance, où les défis sont constants. Dans son bureau avenue Taché qui donne sur le Jardin du patrimoine de Saint-Boniface, Joanne Colliou est penchée sur un tableau de chiffres affiché sur son ordinateur. La cinquantenaire sourit : « Ah, je n’aime pas trop les finances! »

Son poste de gestionnaire exige de porter plusieurs casquettes, notamment la gestion des finances. Elle doit faire évoluer la programmation et le nombre de visites dans les Centres de la petite enfance et de la famille avec un budget très serré. La Coalition francophone de la petite enfance du Manitoba reçoit chaque année de la Province 250 000 $ et 68 000 $ pour le programme Bébé en santé, un atelier pour les femmes enceintes et les mères avec un bébé de moins d’un an. Le gouvernement fédéral, de son côté, verse 250 000 $ par an. Et la Coalition fait appel à des partenaires comme Francofonds pour financer des activités bien précises.

Joanne Colliou précise : « Nous n’avons pas de budget pour le marketing. Pourtant, notre plus grand défi est de se faire connaître. Autant en ville que dans le rural. On s’aide des réseaux sociaux et des infirmières de santé publique qui rendent visite aux mamans qui viennent de donner naissance. »

Ces infirmières remettent depuis 2015-2016 des cartons avec, écrit en gros : « Dès le début en français ». Le but est d’encourager les parents à pousser les portes des CPEF. Cette campagne, initiée par la Coalition et entièrement financée par Santé Canada, a très bien fonctionné : « La saison avant le lancement de cette campagne, on comptait 23 000 visites dans tous les centres du Manitoba. Les chiffres augmentaient très lentement jusqu’à cette période. En 2016- 2017, on a enregistré 27 000 visites. » Au mois de mars 2019, les CPEF du Manitoba ont enregistré un total de 28 800 visites. Problème : la Coalition n’a plus que 800 cartons sur les 10 000 imprimés en 2015 et n’a plus de budget pour en faire imprimer davantage.

| Remettre l’enfant au coeur des débats

L’autre casquette que porte Joanne Colliou est en quelque sorte politique. Son rôle est de rassembler notamment l’Université de Saint-Boniface, l’Université du Manitoba, le Centre de santé, la Direction des services de garde francophones ou encore Pluri-elles autour de quatre tables de concertation. Les thèmes sont : la recherche, le perfectionnement professionnel et la formation continue, la vitalité linguistique et culturelle, ainsi que la formation et la sensibilisation des parents.

« Mon rôle est de toujours remettre l’enfant au coeur des débats et des projets : Qu’est-ce qu’on va apporter à l’enfant dans tel ou tel projet? Et les coordonnatrices des 16 CPEF sont mes oreilles pour apporter les idées, notamment aux tables de concertation.

Ne parlez pas de patron, de responsable ou de directrice à Joanne Colliou. Elle se voit plutôt comme une mentor pour son équipe. « Je partage mes connaissances et je pousse les gens à penser par eux-mêmes. Les jeunes employé(e)s, par exemple, possèdent les connaissances les plus à jour en sortant de leurs études. Alors mon rôle est de leur donner confiance pour qu’ils atteignent leur plus haut potentiel. »

Elle ajoute, en souriant : « Je fonctionne comme ça dans toute ma vie! Avec mes enfants, mes parents, mes frères et mes soeurs. Il faut donner les clés à chacun pour les pousser loin et qu’ils prennent des risques. Personne n’est parfait et vivre des échecs est normal. »

Joanne Colliou est la sixième d’une fratrie de sept enfants. Son intérêt pour les enfants est apparu très tôt. « Je gardais les enfants de mes frères et soeurs dès mes 12 ans. Ce que j’aime chez eux, c’est leur émerveillement et leur regard tout neuf quand ils découvrent leur environnement. »

Depuis sa jeunesse, la jeune femme voulait enseigner, mais elle n’a pas eu les moyens de financer ses études. « Une amie m’avait parlé d’une formation gratuite à l’Université de Saint- Boniface dans la petite enfance, où les étudiants étaient rémunérés. » À cette époque, déjà, ce milieu professionnel manquait de candidats.

Elle a étudié pendant un an en 1989. Un cours l’avait particulièrement marqué. « C’était une étude sur la famille. Je découvrais qu’une famille pouvait prendre plusieurs formes : deux mères, deux pères ou des parents divorcés. Je m’étais dit : Oh boy! Je me suis posée des questions : Attends, toi, tu as deux maisons?Mes parents étaient mariés et les familles que l’on côtoyait étaient dans le même cas. Je me suis rendue compte que tout le monde ne venait pas de la même place. »

La gestionnaire de la Coalition francophone de la petite enfance du Manitoba a continué à s’intéresser à cette question pendant toute sa carrière, notamment pendant les formations continues, dont un minimum de 24 heures par an est obligatoire. « C’est important pour ne pas rester sur sa propre vision : C’est comme ça que ça marche! Et puis tout change dans ce milieu, les familles, les enfants. »

À son avis, la santé mentale est un des défis majeurs depuis cinq ou six ans. Joanne Colliou observe une augmentation de cas d’enfants anxieux depuis ses débuts dans la profession, il y a 30 ans.

« De nos jours, on met beaucoup de pression sur les enfants. Les parents veulent qu’ils soient socialisés, prêts pour aller à l’école, qu’ils sachent faire de la musique, du sport, de la danse… Mais un enfant a juste besoin de jouer! Et c’est aussi bénéfique, si ce n’est pas plus, que de pratiquer de nombreuses activités. » Elle nuance cependant : « Bien sûr, faire des activités n’est pas complètement mauvais pour socialiser son enfant. Mais une fois par semaine, pas plus. »

Joanne Colliou a encore quelques années devant elle avant la retraite. Toutefois, elle sent que son temps arrive à son terme. « Il faudrait qu’une nouvelle personne avec de nouvelles idées prenne ma place. »

Si elle n’était pas aussi attachée et passionnée par son métier, Joanne Colliou aurait déjà quitté son poste. Dans les CPEF, les salaires sont bas : 18 $ de l’heure en moyenne, sans avantages sociaux, ni pension. « C’est le changement qui me motive. Il y a toujours des nouveautés, de nouvelles personnes et de nouveaux programmes. »

La profession souffre aussi d’un manque de reconnaissance, explique-t-elle. « On nous considère encore comme des gardiennes. Or, nous sommes des éducatrices. Entre zéro et cinq ans, toutes les portes sont ouvertes pour l’apprentissage : la numératie, la socialisation, la littératie et les langues aussi. Un enfant entre zéro et trois ans a la capacité d’apprendre dix langues. Cela signifie qu’il sera plus facile de reprendre l’apprentissage d’une langue à l’âge adulte, car les connexions neuronales auront déjà été créées. »

Joanne Colliou note tout de même du progrès dans la reconnaissance du statut d’éducatrice. « Pour moi, c’est la différence entre une job et une carrière. Pour imposer mon statut, je me valorisais moi-même, en me présentant comme une éducatrice. Qu’est-ce que ça veut dire? demandaient certaines personnes. Alors je leur expliquais. »

(1) Les membres du Comité directeur de la Coalition francophone de la petite enfance sont la Division scolaire francomanitobaine, la Société francomanitobaine et la Fédération des parents du Manitoba.