Nombreux sont les Fransaskois durant la Grande Dépression qui ont traversé le pays à bord d’un train. À la recherche d’un emploi, nos pères, grands-pères, oncles et frères ont sauté à bord des trains d’un bout du Canada à l’autre. Le vagabondage par train était un phénomène bien répandu dans les années 1930, mais ne pensez pas que ça n’existe plus.

 

Par Dominique LIBOIRON (L’Eau vive)

Emerald Ross, de Gravelbourg, compte parmi les Fransaskois qui se sont déplacés par train au cours de la Grande Dépression et l’expérience a changé la trajectoire de sa vie. Décédé en 2012, à l’âge de 95 ans, c’est plutôt son neveu, René Ross, qui a partagé l’histoire de son oncle.

Selon René Ross, son oncle sautait à bord des trains à cause de la sécheresse et de la faillite des récoltes. Emerald Ross a traversé le Canada pour trouver du travail. Sans argent pour s’acheter un billet, il faisait comme bien d’autres hommes — il grimpait sur des trains en mouvement. Conscient du danger de tomber et soucieux des policiers qui attendaient les vagabonds de ville en ville, Emerald Ross a connu des difficultés, mais grâce à ses voyages en train il a pris connaissance de son pays. Marqué par sa découverte du Canada, Emerald Ross a décidé que c’était un pays pour lequel il voulait se battre. Il s’est donc joint à l’armée de l’air et est devenu pilote de Lancaster pendant la Deuxième Guerre mondiale.

 

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Suite à la guerre, le Canada a connu un éveil économique. De plus, les grandes sécheresses ont cessé. Ce faisant, le vagabondage par train est devenu un phénomène rare, mais les Canadiens n’ont jamais oublié cette partie de leur histoire.

Et si ça existait encore?

La compagnie ferroviaire Canadien Pacifique n’a pas voulu accorder une entrevue pour indiquer si ce vagabondage existe encore. Récemment, dans un train arrêté près de l’élévateur de Maple Creek, un des membres de l’équipage a accepté d’en parler.

Selon lui, les gens sautent à bord des trains beaucoup moins qu’auparavant, mais le phénomène existe toujours, surtout comme moyen de transport. Par exemple, les dernières personnes qu’il a trouvées à bord son train tentaient de se rendre de Coquitlam, en C.-B., à Moose Jaw, soit de franchir une distance de 1600 kilomètres. Les trois personnes en question espéraient se rendre à un enterrement. Elles ont dû descendre.

Selon le membre de l’équipage, les vagabonds d’aujourd’hui aiment se cacher dans les locomotives supplémentaires, c’est-à-dire les engins situés au milieu d’un train où il n’y a pas de personnel. Ces locomotives-là sont vides parce qu’elles sont contrôlées à partir de la locomotive principale, située à la tête du train. Ce fut le cas du trio qui se rendait à Moose Jaw.

De nos jours, les trains tirent moins de wagons de marchandises (box cars en anglais) et il y a donc moins de wagons qui se prêtent bien au vagabondage. Les wagons de charbon sont salissants alors que les wagons de blé, de potasse ou de pétrole laissent peu de place où se cacher.

Vagabond des temps modernes

Alors que certaines personnes se servent des trains de marchandises comme moyen de transport, il en existe d’autres qui sautent à bord des trains par goût de l’aventure ou même par intérêt artistique. Un d’entre eux, Mike Brodie, estime avoir parcouru environ 80 500 kilomètres en fugue à bord des trains. Au cours de ses multiples péripéties, il avait toujours son appareil photo à la main.

Désireux d’une vie libre sans responsabilités, à la fois obsédé par la passion du voyage et dévoré par le besoin de photographier le mode de vie des vagabonds, Mike Brodie a pris des centaines d’images avec lesquelles il a publié deux livres. Le premier, A Period of Juvenile Prosperity, a paru en 2013, et le deuxième, Tones of Dirt and Bone, en 2015.

Selon Mike Brodie, les vagabonds d’aujourd’hui sont surtout des adolescents, mais quelques vétérans sillonnent toujours les rails. Les jeunes vagabonds, dit-il, sont souvent idéalistes et hésitent à accepter les responsabilités et les contraintes du monde adulte. Les jeunes vagabonds cherchent surtout à s’évader, fait savoir Mike Brodie. Autrement dit, les vagabonds n’ont pas une destination en tête. Ils ne voyagent pas pour arriver. Ils voyagent pour fuir.

Nous voyons donc un contraste entre le vagabondage d’autrefois et celui d’aujourd’hui. Pendant la Grande Dépression, les hommes sautaient à bord d’un train à la recherche d’emplois. Quoique certaines personnes se servent présentement des trains comme mode de transport gratuit, d’autres y voient un moyen d’échapper à leur réalité.