La Ville de Winnipeg aimerait bien se départir de deux symboles historiques protégés de Saint-Boniface : l’ancien Hôtel de ville et la caserne des pompiers. Des voix se sont immédiatement élevées pour invoquer la responsabilité morale des élus municipaux.

Par Ophélie DOIREAU

Surprise le vendredi 20 septembre lorsque les trois occupants du 219 boulevard Provencher ont reçu un courriel leur indiquant que la Ville de Winnipeg avait décidé de lancer un appel d’offres concernant l’ancien Hôtel de ville et la caserne de pompiers.

Alexandra Keim, la directrice de la Maison des artistes visuels francophones, raconte : « J’ai été choquée lorsque nous avons reçu la nouvelle.

« La galerie est ici depuis bientôt 20 ans et nous avons investi 10 000 $ dans des rénovations. Il y a aussi notre jardin de sculptures. Chacune des cinq sculptures a coûté 100 000 $. Mais au-delà de la question financière, la Ville a une responsabilité morale envers la communauté francophone.

« Certes l’ancien Hôtel de ville est important, mais la caserne de pompiers l’est aussi. Car c’est le site tout entier qui fait partie de l’histoire de Saint- Boniface, c’est le coeur de la communauté francophone. »

Malgré ses inquiétudes, la directrice de la Maison des artistes visuels francophones se veut rassurante à l’égard de la communauté et de ses bailleurs de fonds : « Nous avons l’esprit ouvert. Je veux rassurer les membres de la communauté, nous attendons de voir les propositions. »

Mais la Maison des artistes visuels francophones n’est pas le seul locataire à invoquer la responsabilité morale de la Ville. Mariette Mulaire, la présidente-directrice générale du World Trade Centre Winnipeg, ajoute : « La vraie question dans la vente des bâtiments, c’est de savoir si c’est dans l’intérêt de la communauté francophone.

« La Ville a le devoir moral de développer la communauté francophone même si on sait qu’il n’est pas évident de rentabiliser un édifice historique. »

Mariette Mulaire ne se dit pas choquée de la nouvelle : « Depuis 2007, depuis que le World Trade Centre est installé à l’ancien Hôtel de ville, la Ville de Winnipeg cherche à vendre ce bâtiment. « Nous avons toujours été en discussion avec eux, puisque l’on voudrait développer le World Trade Centre de Winnipeg. Nous avons investi de l’argent dans certaines rénovations. »

Normand Gousseau, le directeur général d’Entreprises Riel, abonde dans la même logique : «La Ville a une responsabilité morale vis-à-vis de la communauté francophone, mais aussi envers les édifices qui sont protégés.

« Nous pourrions envisager de déménager, mais seulement pour laisser davantage de place au World Trade Centre, qui continue de développer son activité. »

À l’heure d’écrire ces lignes l’appel d’offres n’avait toujours pas été publié.


À la défense du patrimoine

Cindy Tugwell est la directrice exécutive depuis 26 ans de Heritage Winnipeg, l’organisme qui lutte pour la défense du patrimoine. Elle n’est pas étonnée que la Ville de Winnipeg tente de vendre l’ancien Hôtel de ville et la caserne de pompiers.

« Cela fait plusieurs années que la Ville de Winnipeg essaie de vendre des bâtiments historiques. La raison principale est la réduction des dépenses d’entretien des édifices. »

Elle ne voit pas qui pourrait vouloir acquérir l’ancien Hôtel de ville : « L’extérieur du bâtiment est protégé. À l’intérieur, la protection couvre le rez-de-chaussée, le second étage et les escaliers. Ça serait étrange que quelqu’un s’engage dans un pareil achat en sachant que seul le troisième étage peut être modifié. Ça représenterait un énorme défi, qui demanderait un énorme travail de collaboration avec la Ville. »

Cindy Tugwell estime que la gestion de patrimoine n’est pas le point fort de la Ville de Winnipeg : « Les élus municipaux ne sont pas faits pour gérer des édifices patrimoniaux. Il serait, en général, préférable que les édifices soient confiés à des intérêts privés. »


L’avis de Matt Allard

Mathieu Allard, le conseiller municipal pour Saint-Boniface, souligne d’entrée de jeu : « Le dossier n’est pas nouveau. Depuis 2007 la Ville de Winnipeg a estimé que ces bâtiments étaient un surplus pour eux. Aujourd’hui il a été décidé de lancer un appel d’offres pour voir ce qu’il pourrait advenir des deux bâtiments en question. »

Si l’ancien Hôtel de ville a des occupants qui permettent de le maintenir dans un bon état, en revanche la caserne de pompiers est inoccupée. Mathieu Allard précise : « Maintenir un édifice comme celui-ci est coûteux pour la Ville. Il serait préférable de trouver une solution qui pourrait satisfaire tout le monde. »

Au sujet de l’inquiétude des locataires, le conseiller se veut clair : « J’ai précisé à la Ville qu’il était important de prendre en compte le bénéfice communautaire. » En plus du bénéfice communautaire, le potentiel acquéreur des bâtiments devra prendre en compte leurs désignations historiques protégées.

Mathieu Allard insiste : « L’extérieur de l’ancien Hôtel de ville est complètement protégé, personne ne peut y toucher. À l’intérieur certaines composantes sont protégées également. Il peut y avoir des modifications, mais en respectant les composantes historiques.

« Oui, la Ville de Winnipeg lance un appel d’offres, mais il se peut que toutes les propositions soient refusées. De plus, ce n’est pas la première fois qu’un bâtiment historique est mis en vente dans Saint- Boniface. Je pense en particulier à l’École normale de Saint-Boniface, située rue Masson. »