Quand un pays ou une province célèbre un anniversaire, d’habitude on se remémore un évènement fondateur dont on tire toujours une fierté.

Roger TURENNE – Collaboration spéciale

Pensons à la Déclaration de l’indépendance américaine ou à la Révolution française. Pour le Manitoba, il s’agit des évènements turbulents de 1869 et de 1870.

Au Manitoba, cependant, l’affaire n’est pas si simple. Car presque immédiatement après sa création sur le principe de l’égalité entre la langue française et la langue anglaise, la province a été envahie par des colons ontariens qui ont vite fait de répudier son principe fondateur. S’ensuivra un siècle de domination assimilatrice.

Si les choses ont bien changé depuis quelques décennies, on peut quand même se demander comment s’identifient au mythe fondateur du Manitoba ces descendants d’Ontariens, d’Allemands, d’Ukrainiens? Seuls les Métis et les francophones peuvent véritablement s’associer de façon viscérale à l’évènement fondateur. Pour les autres, ce n’est au fond qu’une leçon d’histoire avec laquelle ils n’ont que peu d’attachement.

Si le mythe fondateur n’emballe pas les Manitobains, que célèbrent-ils exactement en ce cent cinquantenaire? Être manitobain, est-ce autre chose qu’une référence géographique? La majorité des autres provinces ont des identités, des histoires et des mythes qui leur sont propres, le Québec en tête.

Ainsi à Terre-Neuve, le 1er juillet est tout autant le jour du souvenir de Beaumont-Hamel (où toute une génération de futurs leaders a été fauchée en 30 minutes sur un champ de bataille de la Première Guerre mondiale) que celui de la Fête du Canada.

L’identité propre de chacune des provinces maritimes a toujours fait échec aux multiples propositions de fusionnement, voire même d’étroite collabo-ration économique entre elles.

Entre les Rocheuses et le Pacifique, la Colombie-Britannique possède sa personnalité et une histoire bien distincte, orientée vers le Pacifique et l’Asie.

L’Alberta se cantonne dans ses mythes de cowboy et d’individualisme vigoureux à coloration américaine, une forte proportion de sa population ayant des origines américaines. La Saskatchewan revendique son passé de populisme agraire, berceau du CCF/NPD et de la santé publique.

Toutes ces provinces se rallient autour de drapeaux bien distincts. Deux font exception : l’Ontario et le Manitoba. Dans les deux cas, leurs drapeaux, adoptés en 1965 et identiques sauf pour leurs armoiries, constituaient un geste de protestation contre l’adoption par le Parlement canadien du drapeau unifolié. Un dernier soubresaut de l’esprit colonial britannique. L’Ontario, grâce à son poids démographique, économique et politique, a toujours confondu ses intérêts avec ceux du Canada, nonobstant les occasionnels conflits de nature partisane entre les gouvernements d’Ottawa et de Toronto.

Reste le Manitoba, peut-être la plus méconnue des provinces, celle que l’on oublie souvent de mentionner dans les reportages nationaux. Ou, lorsqu’on en parle, c’est pour évoquer sa présumée intolérance envers sa minorité linguistique, son haut taux de criminalité et sa capitale qui serait la ville la plus raciste au Canada.

Pourtant, nous sommes des centaines de milliers qui ne voudraient vivre nulle part ailleurs. Malgré le froid et les moustiques. Malgré son drapeau archaïque et son absence de mythes rassembleurs. Malgré la condescendance de ceux qui ne nous connaissent pas.

Quand le magazine Maclean a qualifié Winnipeg de ville la plus raciste au Canada, les Manitobains n’ont pas levé les boucliers et exigé des excuses. Le maire a plutôt rassemblé les intervenants de tous les milieux sociaux pour forger un consensus pour s’attaquer sérieusement au problème. C’est ça, le Manitoba.

Le chef de l’Opposition au Palais législatif est autochtone. La députée provinciale du centre-ville de Winnipeg est une immigrante née au Nigeria qui se proclame allosexuelle. C’est Winnipeg qui a élu le premier maire gay d’une grande ville canadienne. Sans remous. Pour citer le chansonnier Maurice Paquin : Y a rien là! C’est ça, le Manitoba.

Quand les réfugiés ont commencé à traverser la frontière des États-Unis en utilisant des points d’accès non autorisés, ils ont surtout rencontré de la compassion, plutôt que de la panique.

Quand les rescapés du génocide perpétré contre les Yézidis en Irak ne savaient plus où trouver refuge, la communauté juive de Winnipeg s’est mobilisée pour les accueillir. C’est ça, le Manitoba.

En 2016, la toute première loi adoptée par le nouveau gouvernement progressiste-conservateur a pour titre Loi sur l’appui à l’épanouissement de la francophonie manitobaine. Loi adoptée à l’unanimité. C’est ça, le Manitoba.

Certes la partisannerie politique existe ici, comme ailleurs. Mais elle est moins extrême. Le centre politique existe toujours; les consensus sociaux sont encore possibles. Il y a toujours moyen de moyenner. C’est ça, le Manitoba, où le Wexit n’intéresse à peu près personne.

Les habitants de Winkler, de Brandon, de Peguis, de Thompson, de Saint-Boniface ou du North End vivent leur Manitoba de façon parfois bien différente. Sans tambours, ni trompettes.

Avec l’assurance tranquille de savoir qui ils sont. Ça aussi, c’est le Manitoba. Et ce Manitoba vaut bien quelques feux d’artifice.

Dommage pour notre drapeau, si moche. C’eût été un excellent projet de cent cinquantenaire que de lancer un concours pour nous doter d’un emblème qui reflète mieux notre réalité. Peut-être n’est-il pas trop tard?