L’économie et la vie dans les grandes villes du Canada ont été particulièrement perturbées par la pandémie de COVID-19. Plusieurs d’entre elles dépendent de façon plus ou moins importante des ressources naturelles, du secteur manufacturier et du marché immobilier pour faire rouler leur économie. Tous des domaines fortement touchés par la crise.

 

Par Marc POIRIER – Francopresse

 

Le Conference Board du Canada, un think tank canadien spécialisé en recherche, en analyse économique et en analyse des performances des politiques publiques, a publié le 12 mai son Aperçu de la situation des grandes villes (en anglais seulement).

Les spécialistes y analysent l’état économique de 13 grandes villes canadiennes et tentent des prévisions d’ici 2024.

Pour 2020, les plus fortes diminutions du produit intérieur brut (PIB) touchent les grandes villes des Prairies comme Edmonton (- 5,6 %), Calgary (- 5,5 %), Saskatoon (- 4,9 %) et Regina (- 4,6 %). C’est cependant dans ces mêmes villes que le Conference Board prévoit les plus fortes remontées d’ici 2024.

Les experts prévoient que c’est Ottawa (- 2,4 %) qui s’en sortira le mieux cette année, suivie de Vancouver (- 2,8 %), Victoria (-3,0 %) et Toronto (- 3,0 %).

Francopresse a discuté du rapport avec l’économiste en chef du Conference Board, Pedro Antunes.

Que nous réserve 2021?

Pedro Antunes : Il y aura une reprise quand même assez forte pour la plupart des villes en 2021. Espérons qu’avril soit le pire mois de 2020 pour la plupart des villes et qu’on va voir tranquillement les niveaux d’emplois revenir — espérons vers la normale — d’ici 2021.

Ce sont les grandes villes des Pairies qui devraient encaisser la plus forte baisse du PIB en 2020. Est-ce dû aux ressources?

P.A. : Il faut dire que les villes s’en tirent un peu mieux que l’économie en général, sauf pour les villes qui dépendent beaucoup des ressources, en particulier du pétrole. Donc Calgary, Edmonton et Saskatoon ne font pas très bien du tout, à cause de la chute du prix du pétrole. En fait, c’était déjà un problème depuis 2015, mais maintenant on a frappé le fond, avec des prix du pétrole qui ont même atteint des niveaux négatifs. Du jamais vu.

On s’imagine bien que pour tout ce qui est investissements de capitaux dans le secteur énergétique, c’est très difficile. Les revenus sont à plat, autant pour les entreprises que pour les provinces. Donc c’est une situation très, très difficile.

Le rapport prévoit une remontée du PIB d’ici 2024 dans ces grandes villes. Peut-on en conclure que les dommages à l’industrie pétrolière ne seront pas permanents?

P.A. : Généralement, certains secteurs sont plus touchés que d’autres. Tout ce qui est relié au tourisme, à la restauration et à l’hébergement, ça va être très difficile. Tout ce qui est transport aussi, même le transport public, ça va être très difficile. Ce sont des secteurs qui ne vont revenir à la normale, je pense, que lorsque l’éclosion de la COVID-19 sera maitrisée, que ce soit par un vaccin ou parce que la population sera assez immunisée.

L’économie du Canada est basée sur les ressources. Tout ça est fortement relié à la demande mondiale. Alors on a une chute très forte, davantage vécue je dirais dans le transport à l’échelle mondiale. Donc, ça influence le prix du pétrole plus que d’autres secteurs et la production industrielle est à plat partout dans le monde. Le prix de la plupart des ressources est à la baisse, donc ça touche toutes les provinces.

La reprise économique, on la voit dans le secteur manufacturier, la restauration, les ventes au détail. Je pense qu’on va voir ça revenir tranquillement. La plupart des provinces sont engagées dans le déconfinement. Il y a beaucoup de mesures d’aide qui ont été mises en place par le fédéral et les provinces. Elles constituent au-delà de 10 % du PIB. C’est énorme comme appui qui va vers les ménages et les entreprises.

On a fermé l’économie. On ne peut pas dépenser, on a perdu beaucoup d’emplois, mais le revenu est quand même soutenu. On s’attend à ce que la confiance des consommateurs revienne une fois qu’on rouvrira l’économie. Peut-être qu’ils vont dépenser de façon différente, on va être plus prudent, mais les revenus sont là. On devrait avoir une reprise assez forte en 2021 côté consommation.

Comment explique-t-on que des villes comme Ottawa, Vancouver et Victoria soient moins touchées?

P.A. : Il y a quand même de l’activité économique reliée à la construction en Colombie-Britannique, et ça a un impact dans le secteur des services de ces deux villes-là. C’est aussi le cas dans les villes qui sont des capitales comme Victoria, Ottawa, Québec ; il y a des secteurs publics qui sont plus importants et elles ont tendance à faire un peu mieux.

Également, les villes qui comptent beaucoup d’activités reliées à l’éducation et au secteur financier s’en tirent mieux. Le marché immobilier, qui est très important dans certaines de ces villes-là, devrait reprendre assez rapidement.

En général, au Canada, même si la dépendance envers les ressources est assez grande, on voit une tendance de croissance très forte dans l’économie du savoir, dans les services professionnels. Ces secteurs vont assez bien. Les gens peuvent travailler chez eux. Ce sont des composantes de l’économie importantes dans ces villes-là.

Pour ce qui est de Montréal, en quel état se trouve la ville et comment va-t-elle se sortir de la crise?

P.A. : Montréal, on le sait, a été durement touchée. Il faut dire que la ville a très bien fait au niveau économique au cours des quatre ou cinq dernières années. C’est une ville industrielle, qui dépend du secteur manufacturier. La crise a fait fermer essentiellement l’économie et le secteur manufacturier. Et parce qu’on a fermé les frontières, l’activité du côté de l’immigration sera réduite et on s’attend à ce que ce ça ait un impact dans la croissance de la population, de même qu’à Toronto et Vancouver.

Quels sont les défis de formuler des prévisions économiques à long terme avec toutes les inconnues qui subsistent autour de la pandémie, notamment la possibilité d’une seconde vague?

P.A. : C’est un défi oui. On a essayé de bien comprendre parce que c’est du jamais vu. Ce qu’on voulait voir, c’est à quel point le choc sur l’économie sera grand. On a vu plus tôt ce mois-ci les données sur le marché du travail de Statistique Canada. Ça nous a donné un bon son de cloche.

Côté emplois, on a vu une baisse de 15,6 % à l’échelle du pays. Si on comptabilise le nombre d’heures travaillées, c’est une perte de 28 %. Maintenant, il reste à voir comment on va s’en sortir.

J’ai espoir qu’avril aura été le pire mois pour la plupart des villes. On devrait assister à une reprise de l’emploi. Le mois de mai ne sera probablement pas fameux, mais espérons qu’à l’été, ça va reprendre avec plus de vigueur. Tout ça va dépendre du succès du déconfinement. Si le virus réapparait et qu’on doit refermer l’économie, ça remet en question la vitesse à laquelle on peut rouvrir.