Avec l’utilisation accrue de nos appareils électroniques, le réseau peut vite saturer. La crise sanitaire met clairement en évidence l’écart entre la ville et le rural, où les problèmes de connectivité sont tangibles. Que vivent réellement les résidents des municipalités rurales bilingues manitobaines? Éléments de réponse avec Justin Johnson et Mariette Kirouac.

Par Laëtitia KERMARREC

Les problèmes de connectivité dans les municipalités au rural, accentués par la pandémie, étaient déjà bien connus de l’Association des municipalités bilingues du Manitoba (AMBM) (1).

Si bien que le Conseil de développement économique des municipalités bilingues du Manitoba (CDEM) a lancé un sondage en pleine période de confinement du 14 avril au 25 mai auprès de 34 entreprises localisées dans ces municipalités (2) dont des restaurants, des épiceries, un salon de coiffure, des stations d’essence, ou encore une garderie.

La responsable des relations communautaires au CDEM, Mariette Kirouac, précise : « Ce sondage est une opportunité pour laisser savoir aux gouvernements l’importance d’avoir cette connexion au rural. »

Ce sondage a mis en évidence que « 47 % des entrepreneurs semblent rencontrer des problèmes de connectivité partiels et 9 % ne peuvent plus assurer la continuité de leur service ». Mariette Kirouac cite notamment l’exemple d’un agent de développement communautaire à La Broquerie.

« Il a trois ou quatre enfants qui suivent l’école sur Zoom. Si lui-même a une rencontre Zoom par-dessus ça, la connexion internet coupe. Alors il fait maintenant ses réunions dans la voiture en se connectant à des réseaux Wifi environnants. »

Autre situation : « Un couple détient la seule épicerie du village de Somerset. Le défi de connectivité ici est qu’il n’y a plus d’échange d’argent comptant.

« Donc il faut utiliser un appareil électronique pour payer, mais le système est très lent. Le couple a dû allonger ses heures de travail, avec trois enfants à la maison. »

Existe-t-il un danger à une telle perte de connectivité?

Réponse de Justin Johnson, chef de la direction de l’AMBM depuis deux ans :

« Dans cette situation, il existe un risque réel sur les plans social, communautaire de la santé. Sans connectivité, les municipalités ne sont pas en mesure de développer l’économie locale, de participer activement à l’éducation des enfants, d’accéder aux informations de base envoyées par les autorités de santé publique. Donc la sécurité est clairement à prendre en compte. »

Mariette Kirouac souligne aussi une vulnérabilité des municipalités rurales qui sont inquiètes en temps de pandémie de ne pouvoir être informées ou capables d’appeler en cas de problème.

D’autant que « le service cellulaire n’est pas couvert sur plusieurs kilomètres. Et donc il ne suffit pas juste d’aller au bout du chemin pour pouvoir appeler ».

Pour illustrer, elle évoque un incident où la connectivité était un problème.

« Autour de 2011 il y avait eu un feu de forêt à Marchand, où je demeure. Il n’y avait plus d’électricité chez moi et le service cellulaire était fermé. Donc je n’avais aucune idée qu’on se faisait évacuer. Heureusement ma fille, qui avait entendu l’information à la radio, était venue me chercher. »

D’un point de vue économique aussi, « les commerçants à Saint-Lazare, par exemple, rencontrent des difficultés pour contacter leurs clients sans internet ou le téléphone ».

L’un d’eux a d’ailleurs déclaré dans le sondage :

« Nous avons besoin d’un meilleur service téléphonique et d’un service internet dans notre région. Ces services doivent être qualifiés d’essentiels alors que très peu d’entreprises et agences de gouvernement veulent parler directement à leurs clients.

« Ils préfèrent communiquer avec eux en ligne pour tout […] Malgré tous ces besoins, notre service internet est horrible. »

Justin Johnson ajoute que « la crise a vraiment mis en évidence qu’une connectivité à large bande de qualité devient essentielle.

« Dans le monde dans lequel on vit aujourd’hui, il faut un accès efficace à internet, essentiel aussi pour relancer l’économie suite à la pandémie. »

Il précise aussi que les critères en matière de réseau ont changé.

« Par le passé, la mesure de performance était la disponibilité. Sauf qu’un service peut être disponible, mais non fiable ou abordable. »

Les trois éléments mis dorénavant de l’avant sont : le coût, la disponibilité et la fiabilité du réseau.

Le chef de direction de l’AMBM rappelle une piste possible.

« Une des solutions annoncées récemment par la Province est un partenariat avec Manitoba Hydro. »

En effet, Manitoba Hydro possède un vaste réseau qui n’a jamais été utilisé de milliers de kilomètres de fibres optiques.

« La Province semble promouvoir leur utilisation en temps de crise pour délivrer l’internet à large bande au rural et aux communautés du Nord. »

(1) L’AMBM a deux rôles : un rôle politique et un rôle stratégique. D’une part, elle est la voix des Municipalités bilingues et elle revendique leurs besoins auprès des gouvernements provincial et fédéral. D’autre part, l’AMBM appuie les Municipalités pour développer des outils nécessaires à leur épanouissement en français.

(2) Les 15 Municipalités bilingues du Manitoba membres de l’AMBM sont visibles ici : https:// ambm.ca/les-municipalites- bilingues/