Le 16 juin 2020, la Fédération des conseils d’éducation du Nouveau-Brunswick (FCÉNB), la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) et la Fédération des francophones de Terre-Neuve et du Labrador (FFTNL) ont publié un mémoire conjoint dans lequel ils exhortent le gouvernement fédéral à ajouter des questions au questionnaire court du recensement de 2021 afin de pouvoir dresser un portrait complet du nombre de personnes qui ont le droit à l’éducation en français au Canada.
Par Guillaume DESCHÊNES-THÉRIAULT – Francopresse
*Il s’agit du deuxième texte d’une série de deux sur le sujet.
Il existe deux versions du recensement : un formulaire abrégé rempli par l’ensemble de la population canadienne et un second, plus détaillé, remis à un échantillon de 25 % de la population.
Les intervenants francophones soutiennent que seule l’inclusion de questions linguistiques au formulaire court permettrait de rendre compte de manière adéquate des besoins réels en matière d’éducation en français. Les recommandations de Statistique Canada sur le sujet, qui serviront de base au Cabinet pour valider la version finale des questionnaires, n’ont pas encore été rendues publiques.
Statistique Canada renvoie la balle au gouvernement
En mars 2020, le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes s’est penché à nouveau sur la question du dénombrement des ayants droit. En raison de la pandémie de la COVID-19, les travaux du Comité ont été suspendus et aucun rapport d’étude n’a été publié. Toutefois, le 12 mars 2020, les membres du Comité ont pu entendre le témoignage du Statisticien en chef du Canada, Anil Arora.
Dans leur mémoire, la FCÉNB, la SANB et la FFTNL dénoncent le manque de transparence et de clarté de M. Arora lors de son témoignage. Ce dernier est à plusieurs reprises demeuré vague dans ses réponses, au point de tester la patience de certains des parlementaires présents.
Lors d’une de ses interventions durant la comparution de M. Arora, le député René Arseneault, secrétaire parlementaire de la ministre du Développement économique et des Langues officielles Mélanie Joly, laisse entendre qu’il croit que la recommandation de Statistique Canada sera d’ajouter les questions au formulaire long, allant ainsi à l’encontre des demandes exprimées par les intervenants concernés.
« Même si vous ne nous avez pas encore dit quelle sera votre recommandation au Cabinet, nous l’avons tous devinée. Les écoles et les conseils scolaires de partout au pays, francophones comme anglophones, sont venus nous voir pour nous dire, à l’unanimité, qu’il fallait inclure ces questions dans le formulaire court. Vous venez de nous dire que le formulaire court permet de mieux dénombrer la population. »
M. Arseneault a tenté d’obtenir davantage d’information de la part de M. Arora, avec un succès mitigé. « Vous ne répondez jamais aux questions. Ma question est simple. Avec ce que je viens de vous expliquer et la raison du formulaire court que vous avez donnée, ai-je raison de dire qu’il ne serait pas déraisonnable pour le gouvernement de croire que le formulaire court est la meilleure solution? »
M. Arora n’a pas répondu directement à la question du secrétaire parlementaire et a plutôt opté pour renvoyer la balle du côté du gouvernement. « C’est une décision qui revient au gouvernement, c’est‑à‑dire au Cabinet, selon la Loi. »
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Le gouvernement Trudeau sous pression
Dans ce contexte, la pression est forte sur le gouvernement Trudeau, en particulier pour les ministres Bains et Joly. Statistique Canada relève du portefeuille du ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique, Navdeep Bains, et Mélanie Joly est notamment responsable du dossier des langues officielles au sein du cabinet.
En plus des demandes provenant des communautés francophones, les ministres ont été interpelés par plusieurs de leurs collègues libéraux. « Ce qui va être décidé au cabinet par rapport à la recommandation de Statistique Canada va avoir un impact direct pour soutenir les communautés à travers le Canada concernant les ayants droit et l’accès à l’éducation en français », souligne Marie-France Lalonde. La représentante d’Orléans mentionne également qu’elle et plusieurs autres députés ont envoyé des lettres au gouvernement pour les sensibiliser à l’enjeu.
Son collègue, le député libéral franco-ontarien Francis Drouin, a indiqué par écrit son appui sans équivoque à l’ajout de questions au formulaire court.
« L’ajout de questions permettant de dénombrer tous les enfants d’ayants droit au questionnaire court du recensement est une étape essentielle qui nous permettra de dresser un portrait précis du nombre d’enfants de parents ayant le droit à l’éducation en français. Il s’agit d’une demande que moi et certains autres députés issus des communautés linguistiques en situation minoritaire soutenons déjà depuis longtemps. Je suis sûr que le gouvernement prendra la bonne décision! »
Des réponses difficiles à obtenir
Contacté par Francopresse au sujet du dénombrement des ayants droit, le cabinet du premier ministre a rappelé la réaction de M. Trudeau au sujet de la récente décision de la Cour suprême dans le dossier de l’éducation en français en Colombie-Britannique.
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« Ça fait longtemps que les communautés nous disent que les provinces ne financent pas adéquatement les services qui leur sont dus et on espère qu’à partir de maintenant les provinces vont mieux respecter les communautés linguistiques. Et en tant que gouvernement fédéral, on est toujours ouvert à être là pour aider, mais on reconnait la responsabilité et les compétences des provinces en matière d’éducation et de services pour ces communautés-là », avait alors indiqué M. Trudeau, sans donner de détails sur le sujet des ayants droit.
De son côté, le ministre Bains rappelle par écrit l’importance d’assurer une indépendance aux experts de Statistique Canada dans l’élaboration de leurs recommandations. « Notre gouvernement reconnait l’importance de promouvoir et protéger les droits des minorités linguistiques, notamment en ce qui a trait à l’éducation. Contrairement aux conservateurs de Harper, nous avons demandé à Statistique Canada de déterminer quels sont les meilleurs moyens de recueillir des informations de qualité sur les ayants droit. C’est pourquoi Statistique Canada travaille afin d’assurer que les données importantes sur les minorités de langue officielle sont recueillies dans le cadre du recensement de 2021. »
À savoir si le gouvernement compte intervenir pour veiller à ce que les questions sur le dénombrement des ayants droit soient incluses au formulaire court, le bureau du ministre Bains indique qu’il ne commentera pas davantage le dossier pour le moment.
Il n’a pas été possible d’obtenir d’entretien ou de déclaration de la part de la ministre Mélanie Joly ni de son secrétaire parlementaire, René Arseneault. Le bureau de la ministre Joly a indiqué par écrit que « la question du recensement relève du portfolio du ministère de M. Bains » et que « la possibilité d’une entrevue devrait être dirigée à leur bureau », et ce même si le dénombrement des ayants droit est un dossier figurant à la lettre de mandat de décembre 2019 adressée à la ministre Joly par le premier ministre Trudeau.
La possibilité d’un recours judiciaire
Lors de la comparution de M. Arora en mars 2020, la députée libérale Patricia Lattanzio a exposé le risque de poursuite judiciaire qu’encourait Statistique Canada qui ne remplit pas, selon elle, ses obligations constitutionnelles dans le dossier de l’éducation dans la langue de la minorité.
« Les responsables de Statistique Canada sont-ils conscients du fait qu’ils s’exposent potentiellement à des poursuites de la part des communautés de langue officielle en situation minoritaire pour avoir omis plusieurs fois de couvrir et d’enregistrer les trois catégories visées à l’article 23? »
Le directeur général de la FCÉNB, David Couturier, affirme d’emblée que son organisme, de même que la SANB et la FFTNL, n’hésiteront pas à entamer un recours judiciaire s’ils n’ont pas gain de cause. « Si Statistique Canada n’acquiesce pas à notre demande [d’ajouter les questions au formulaire court], nous serons dans l’obligation de nous tourner vers les tribunaux pour infirmer cette décision. »
À ce sujet, la députée Marie-France Lalonde mentionne espérer une issue qui ne nécessitera pas une longue bataille juridique. Le recensement étant tous les cinq ans, il n’y aura pas d’autre occasion pour réaliser un dénombrement adéquat des ayants droit avant 2026.
« Pourquoi faut-il toujours aller en cour? Pourquoi faut-il toujours se battre? On a l’opportunité de les mettre dans le recensement court, c’est une opportunité qui nous est présentée, qui a été travaillée. On sait que les questions fonctionnent, donc pourquoi pas? Pourquoi ne le ferait-on pas? »