Le Musée canadien pour les droits de la personne est confronté à de sérieuses allégations. Entre autres : racisme, harcèlement sexuel et homophobie. Noreen Mian, la directrice exécutive du Rainbow Resource Centre, donne sa perspective.

Par Ophélie DOIREAU

Comment le Rainbow Resource Centre a-t-il pris sa place au fil des décennies?

Quand le Centre a été fondé à la fin des années 1970, son rôle était de militer, d’appuyer et de fournir des services d’éducation, de prise de conscience politique pour la communauté gay. Ce rôle a évolué au fil des années pour inclure tous les membres de la communauté LGBTQ2S+.

Présentement nous appuyons cette communauté au Manitoba à travers du counselling et des programmes de soutien social pour les jeunes, les adultes âgés, les nouveaux arrivants et les personnes bispirituelles et transgenres. Nous offrons des ateliers pour les lieux de travail, les écoles et des organisations en général afin qu’elles deviennent plus conscientes et plus inclusives à l’égard de la communauté LGBTQ2S+.

Le Rainbow Resource Centre a-t-il déjà travaillé avec le Musée?

Il n’y a jamais eu un lien formel d’établi avec le Musée canadien pour les droits de la personne. Mon espoir est que le Musée fasse appel au Centre pour donner une série d’ateliers de sensibilisation à l’inclusion au conseil d’administration, au personnel cadre ainsi qu’à tout le reste du personnel.

J’ai aussi l’espoir que le Musée reconnaisse que les élèves qui n’ont pas pu voir l’exposition consacrée aux droits LGBTQ2S+, parce que leurs écoles ont réclamé la censure, ont été affectés de ne pas avoir eu accès à une égale représentation, qu’ils et elles s’identifient à la communauté LGBTQ2S+ ou non.

Personnellement, comment avez-vous réagi aux agissements du Musée?

Quand le Musée a reconnu les faits, je me suis sentie trahie, blessée et en colère. Juin est le mois de la Fierté, le temps où nous honorons ceux qui ont mené la lutte pour l’égalité, comme lors de la révolte de Stonewall à New York il y a 51 ans. Il s’agit d’une célébration pour prendre la mesure de ce qui a été accompli en tant que pays et comme société.

Toutefois, nous reconnaissons que nous ne pouvons pas nous arrêter de militer. Le Musée canadien pour les droits de la personne a failli dans son mandat de promotion des droits de la personne.

L’homophobie institutionnalisée qui a été révélée était tellement délibérée que c’est difficile de ne pas avoir le sentiment d’un énorme retour en arrière par rapport au chemin accompli.

Un sentiment qui doit sans doute être partagé par les personnes qui ont accepté de donner leur témoignage au Musée dans la perspective de l’exposition…

Je ne peux pas parler pour ces personnes qui ont décidé de partager leurs histoires. Je ne peux que réitérer à titre personnel et comme membre de la communauté LGBTQ2S+ que je me suis sentie trahie.

J’avais confiance que le Musée honorerait son engagement à l’endroit de notre communauté en partageant notre histoire d’oppression et en mettant en lumière nos succès. Le Musée a failli.

Que faudra-t-il réconcilier la communauté LGBTQ2S+ avec le Musée?

Je pense que la route sera longue pour rétablir la confiance. Le Musée s’est déjà engagé à un audit externe de leurs politiques et procédures. Mais c’est une mesure insuffisante. Déjà, Helen Kennedy, la directrice exécutive de Egale Canada, a appelé le Musée à remplacer l’exposition consacrée aux mariages de même sexe par une explication sur la façon dont le Musée a parfois obligé le personnel à ne pas montrer cette exposition.

Pouvez-vous nous donner une idée de l’état de la discrimination à l’œuvre au Canada?

Je ne pourrais pas vous donner de statistiques concrètes. Cependant il est clair que les membres de la communauté LGBTQ2S+ font face à d’importantes barrières dans le monde du travail. On estime entre cinq et 12 le pourcentage de la population canadienne qui s’identifie comme LGBTQ2S+. Dans la population des sans-abri, il y a une surreprésentation des membres de la communauté, estimée à 25 %.

Sans l’appui d’un réseau et de leurs familles, bien des jeunes de la communauté ont du mal à se trouver un premier emploi.

Un sondage de Trans Pulse Canada effectué cette année montre que bien que 89 % des personnes transgenres ont au moins une éducation de niveau collégial ou universitaire, la moitié d’entre elles gagnent moins de 30 000 $ par an.

▶ 02Que conseilleriez-vous aux personnes qui vivent l’homophobie directement ou indirectement au travail?

D’abord, il faut souligner qu’il incombe à l’employeur d’assurer des conditions de travail sécuritaires ainsi que l’appui nécessaire.

Une responsabilité qui peut se traduire de différentes façons : avec un énoncé des valeurs, une politique axée sur la diversité, l’offre d’espaces désignés « sécuritaires » ou encore en encourageant publiquement des organisations qui appuient la communauté LGBTQ2S+.

Par contre, il existe effectivement des compagnies, des lieux de travail où l’homophobie n’est pas prise en compte, voire même niée. Dans ces situations-là, il n’est pas sécuritaire pour un employé qui a subi de l’homophobie de demander des mesures correctrices.

Mon espoir est alors qu’une plainte de la part d’un employé entraîne des actions sur le plan de l’éducation, du développement de politiques ou d’une meilleure visibilité de la communauté LGBTQ2S+ au sein de l’entreprise.