La mise à jour économique et budgétaire soumise par le gouvernement fédéral le 8 juillet 2020 présentait plusieurs chiffres au public canadien : une contraction projetée de l’économie de 6,8 % en 2020, un déficit de 343,2 milliards de dollars, une augmentation de la dette fédérale à 49,1 % du PIB… Au-delà des chiffres, qu’en pensent les économistes?

 

Par Bruno COURNOYER PAQUIN – Francopresse

 

Incertitude et une possible deuxième vague

Ce Portrait économique et budgétaire 2020 s’inscrit sous le signe de l’incertitude – ce terme ou l’une de ses déclinaisons apparaissent non moins de 35 fois dans le document.

Ainsi, si le ministère des Finances prévoit un déficit de 343,2 milliards de dollars pour l’exercice fiscal 2020-2021, cette projection dépend en grande partie du comportement de la pandémie.

Josh Nye, premier économiste à la Banque Royale, souligne que les prédictions mises de l’avant «présument que certaines restrictions demeureront en place et qu’il y aura probablement des éclosions localisées de COVID-19 qui exigeront la réimposition de mesures de confinement pour une certaine période».

Cependant, elles excluent le scénario d’une « deuxième vague » qui nécessiterait le retour à des mesures de confinement généralisées.

Cette éventualité, selon Josh Nye, « serait très négative pour le déficit budgétaire fédéral, parce que les facteurs qui ont contribué au déficit projeté sont la perte de revenus gouvernementaux et les dépenses associées aux mesures de support d’urgence, comme la Prestation canadienne d’urgence (PCU) », facteurs qui seraient exacerbés dans le cas d’une deuxième vague.

Des impacts à plus long terme

Cependant, nuance Robert Kavcic, directeur et économiste principal à la Banque de Montréal, « le déficit n’augmenterait pas tant que ça, parce que les projections budgétaires laissent beaucoup de latitude pour étendre les programmes de dépenses d’urgence » plus longtemps dans l’année.

À son avis, l’impact se ferait plutôt sentir en 2021-2022, car « le déficit ne diminuerait pas aussi rapidement à cause de l’extension des programmes de dépense et de la faiblesse de la reprise économique ».

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Mais même si le gouvernement fédéral fait face à un « déficit record », il n’y a pas nécessairement raison de s’inquiéter selon Robert Kavcic, puisque le gouvernement fédéral ne consacre que 7 % de son budget à payer la dette – comparativement à 30 % dans les années 1990.

De plus, ajoute M. Kavcic, les taux d’intérêt des obligations d’épargne sont historiquement bas et la Banque du Canada a indiqué qu’elle se porterait acquéreuse de la quasi-totalité des obligations émises par le gouvernement – ce qui maintiendra les taux d’intérêt a un très bas niveau.

Des dépenses nécessaires?

En conférence de presse le 8 juillet dernier, le ministre des Finances Bill Morneau a estimé que le gouvernement n’avait pas eu d’autre choix que d’augmenter ses dépenses pour faire face à la crise.

Pour Jimmy Jean, économiste principal au Mouvement Desjardins, « c’était vraiment nécessaire, particulièrement au Canada parce que l’endettement des ménages, l’endettement des entreprises, est extrêmement élevé ». Citoyens et entreprises disposaient donc de peu de ressources pour faire face à la crise.

Sans les mesures de soutien des revenus mises en place par le gouvernement fédéral, ajoute Jimmy Jean, « il y aurait eu une masse critique de défauts de paiements qui aurait eu des répercussions assez graves, entre autres sur le marché de l’habitation ».

Robert Kavcic et Jimmy Jean soulignent qu’une telle vague de faillites, et plus particulièrement de fermetures permanentes de maintes entreprises, aurait eu des conséquences négatives pour les perspectives de croissance économique à long terme.

Ainsi, Jimmy Jean estime qu’une telle « crise de l’insolvabilité » aurait grippé la reprise économique : « Lorsque le déconfinement se serait réalisé, les employés n’auraient pas eu d’emploi auquel retourner, parce leurs entreprises ne seraient plus là. »

L’importance d’adopter de nouvelles mesures

« Une des critiques faites à la mise à jour économique du gouvernement fédéral est qu’elle n’est pas tournée vers l’avenir, qu’elle ne présente pas un plan qui expliquerait comment l’économie pourra récupérer de cette crise, ou comment le gouvernent pourra supporter la reprise », soutient Josh Nye.

La réouverture économique peut faire une partie du chemin, « même si on ne reviendra pas au même niveau d’activité qu’avant la crise », selon Jimmy Jean. Mais à partir du début de 2021,  «il devra y avoir de nouveaux programmes qui vont créer de la croissance à long terme ».

Jimmy Jean préconise des investissements qui « génèrent de la productivité à long terme », que ce soit dans les infrastructures et les transports, dans les écoles et les universités ou encore dans l’internet haute vitesse pour les régions rurales.

Robert Kavcic souligne aussi l’utilité de ce type d’investissements, particulièrement dans les infrastructures. Cependant, il faut prendre en compte que la crise a frappé plus fort dans le secteur des services et que plusieurs de ces emplois ne reviendront pas, du moins à court terme.

Il sera donc nécessaire d’investir dans des programmes de formation de la main d’œuvre pour permettre aux gens qui travaillent dans les secteurs les plus touchés de décrocher des emplois dans d’autres domaines.

Pour Jimmy Jean, la pandémie a mis en évidence les inégalités sociales : « Les personnes les plus affectées disposent de revenus inférieurs, on le voit dans les secteurs les plus affectés comme le tourisme et la restauration, alors que le taux de chômage a à peine augmenté pour les gens dans l’industrie du savoir, avec de plus hauts niveaux d’éducation, parce qu’ils peuvent passer au télétravail. »

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Perspectives pour l’avenir

La crise entrainera des transformations à long terme dans l’économie selon Robert Kavcic : « Certaines industries ne reviendront pas sous la même forme qu’elles avaient auparavant, comme la restauration, l’hospitalité et l’immobilier commercial », prévoit-il.

De plus, explique Josh Nye, des tendances économiques qui étaient présentes avant la pandémie ont été renforcées et risquent de devenir pérennes – le commerce en ligne étant l’exemple le plus frappant.

Le travail à la maison risque d’être là pour de bon, ajoute Josh Nye : « Nous sommes dans une expérience massive de télétravail et les résultats semblent positifs. Selon certains sondages, plusieurs entreprises disent qu’elles garderont une partie de leurs employés en télétravail même après la levée des restrictions. »

Selon Robert Kavcic, cela pourrait avoir un impact sur le parc immobilier dans les centres-villes : « Les édifices les plus importants seront toujours pleins, mais on pourrait voir des loyers commerciaux plus bas et peut-être un plus bas taux de capitalisation pour les investisseurs. »

Josh Nye estime que « cette pandémie aura des conséquences économiques à long terme. La Banque du Canada prévoit qu’en 2022, le potentiel de l’économie canadienne sera 4 % en deçà de ce qu’elle prévoyait avant la crise… et cela aurait été pire si le choc économique n’avait pas été amorti par l’action gouvernementale. »

Ces chiffres reflètent « l’absence d’immigration pendant la pandémie, un ralentissement dans les investissements d’affaires qui risque de se poursuivre pendant des années, une augmentation des faillites et une transformation des habitudes des consommateurs », explique Josh Nye.

Robert Kavcic ajoute que « cela va prendre beaucoup de temps pour que l’économie revienne au niveau pré-COVID-19. Peut-être qu’on pourra arriver à une croissance de 6 % l’année prochaine, et cela semblera vraiment bon, mais si on va récupérer très rapidement la moitié de la contraction économique, ce sera beaucoup plus difficile de récupérer le quart suivant, et cela prendra des années et des années pour récupérer le dernier quart ».