Le référendum sur l’indépendance du Québec de 1995 n’a pas fait que diviser les Québécois. Déjà éloignés l’un de l’autre en raison d’intérêts divers, le Québec et la francophonie du reste du Canada n’auront jamais, lors de la campagne référendaire, apparu si… séparés.

 

Par Marc POIRIER – Francopresse

 

« Je dirais qu’au référendum de 1995, c’est le moment où la francophonie hors Québec et les Québécois ont été les plus éloignés dans leur volonté de vivre en commun depuis les années 1960 », estime le sociologue , professeur à l’Université du Québec à Montréal.

Les années 1960 avaient été marquées par un évènement majeur dans les relations entre les francophones du pays, soit les États généraux du Canada français de 1967, qui ont réuni les forces vives et les représentants de toute la francophonie canadienne.

On considère généralement que c’est à ce moment que le Canada français a éclaté. Une motion visant à reconnaitre le droit du Québec à son autodétermination — bref, à décider de son indépendance — a planté le clou dans le cercueil.

« Et les francophones hors Québec ont refusé, à l’exception des Acadiens qui étaient plus près des Québécois aux États généraux que le reste de la francophonie hors Québec », souligne Joseph-Yvon Thériault.

Les délégués québécois ont voté à 98 % en faveur de la motion. Les Acadiens ont dit oui à 52 %, alors que le reste des délégués francophones l’on rejetée.

Les francophones de l’extérieur du Québec s’organisent

Au cours des années qui vont suivre, le Québec tentera de rebâtir des ponts sans grands succès.

Les francophones dans le reste du pays prendront du temps à s’organiser, mais en 1975, grâce à l’aide du gouvernement fédéral, les organismes porte-parole francophones créent la Fédération des francophones hors Québec (FFHQ), qui deviendra en 1991 la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (FCFA).

Cette première structure «politique» des francophones de l’extérieur du Québec survient alors que l’effervescence nationaliste est en pleine croissance au Québec et va bientôt atteindre son paroxysme : le Parti québécois, avec René Lévesque en tête, est élu en 1976 avec la promesse de tenir un référendum sur la souveraineté. Rien pour apaiser des relations déjà tendues entre les deux groupes.

« Les souverainistes n’ont jamais vraiment réussi à expliquer quel serait le sort des francophones vivant à l’extérieur du Québec dans le contexte de la séparation », soutient le professeur de droit constitutionnel à l’Université d’Ottawa Benoît Pelletier.

« Certains souverainistes disaient qu’il n’y avait pas lieu de s’attarder à leur sort parce qu’ils étaient en voie d’extinction. »

Selon cet ancien ministre québécois des Affaires intergouvernementales canadiennes et de la Francophonie canadienne sous le gouvernement libéral de Jean Charest dans les années 2000, d’autres souverainistes se voulaient plus positifs en disant que « si le Québec devient souverain, la langue française va tellement rayonner que ça va rejaillir à l’extérieur du territoire du Québec et que ça va profiter aux francophones du Canada sans le Québec ».

Des « oui » solitaires dans le reste du Canada

Des propos qui n’ont jamais eu trop d’échos dans la francophonie canadienne, sauf quelques exceptions, comme le nationaliste acadien Jean-Marie Nadeau.

« Je croyais à l’Acadie. Je ne voyais pas l’affirmation du Québec comme pays comme un handicap. »

Selon lui, des ententes de réciprocité − évoquées par les indépendantistes depuis René Lévesque — auraient protégé les minorités francophones en leur assurant un traitement égal à ceux de la minorité anglophone du Québec.

Jean-Marie Nadeau a œuvré dans plusieurs organismes acadiens tels que la Société nationale de l’Acadie (SNA) et la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB). Il a reçu plusieurs honneurs pour ses années d’engagement.

Il affirme qu’il était loin d’être seul à se sentir solidaire des souverainistes québécois. « Tous les nationalistes acadiens étaient sympathiques à la cause québécoise, sauf qu’on n’était pas beaucoup à le dire. »

Le «love-in», la déclaration d’amour du Canada au Québec

Le désir de la communauté francophone du reste du pays que le Québec demeure au sein du Canada va se manifester comme jamais lors du fameux « love-in », un rassemblement tenu à Montréal trois jours avant le référendum de 1995, et lors duquel des dizaines de milliers de Canadiens sont venus exprimer leur « amour » au Québec en leur disant : « restez ».

Parmi eux se trouvait Bernard Richard, qui venait un mois plus tôt d’accéder au Cabinet du Nouveau-Brunswick en tant que ministre des Affaires intergouvernementales sous le gouvernement libéral de Frank McKenna.

« Le premier ministre m’avait donné comme première priorité : le référendum », souligne-t-il.

En compagnie de son premier ministre et de certains autres de ses collègues du Cabinet, le ministre acadien a participé à ce grand ralliement pour le «non» le 27 octobre 1995. « C’est clair qu’il y avait beaucoup de préoccupations et essentiellement, c’était le même message : On vous aime, restez, se rappelle-t-il. Pour les Acadiens, c’était aussi : On a besoin de vous. »

Plus tôt dans la campagne référendaire, Bernard Richard et d’autres politiciens et personnalités de sa province avaient joué un rôle actif avec le camp du « non » en prononçant des discours et en faisant du porte-à-porte, notamment à Rivière-du-Loup et à Rimouski.

Il se rappelle qu’il s’agissait d’une démarche « délicate », réalisant bien qu’il pourrait être mal vu que des gens de l’extérieur du Québec viennent faire campagne sur le terrain. Le message se devait donc d’être respectueux : « C’est clair, c’est votre choix, mais c’est important pour nous que vous sachiez que ça a des conséquences au-delà des frontières du Québec. De passer de 25 % de la population du Canada à 4 %, c’est une énorme transition. »

De son côté, Jean-Marie Nadeau a trouvé « indécent » qu’on se mêle ainsi d’un débat québécois. « Je trouve que là on dépassait les bornes. Comment est-ce qu’on aimerait que des Québécois viennent nous dire comment voter? »

Mais la plupart des francophones de l’extérieur du Québec vont pousser un soupir de soulagement lorsque, finalement, de justesse, le « non » l’emporte avec 50,58% des voix.

Un rapprochement s’effectue par la suite

Ironiquement, le vent va changer en mieux par la suite. En fait, un geste important avait été posé avant même le référendum, en mars 1995, alors que le gouvernement péquiste de Jacques Parizeau adoptait la 1re Politique du Québec à l’égard des communautés francophones et acadiennes du Canada : un dialogue, une solidarité agissante.

C’était la première grande démarche d’un gouvernement québécois envers le reste de la francophonie canadienne.

Mais tout n’était pas rose pour autant. Après le référendum, la priorité de Bernard Richard comme ministre sera l’obtention du Sommet de la Francophonie à Moncton, en 1999.

« Jusqu’à la toute dernière minute », raconte-t-il, le gouvernement du Parti québécois a « tout fait » pour que ce projet ne se réalise pas.

Quel était l’argument avancé pour cette opposition? « “[Que] la candidature du Nouveau-Brunswick, c’était encore une fois une manière pour le fédéral de faire obstacle aux aspirations du Québec” », indique Bernard Richard.

Finalement, le Québec s’est rallié et le Nouveau-Brunswick a eu son Sommet.

En 2006, le gouvernement libéral de Jean Charest a donné un autre grand coup de barre aux relations Québec-communautés francophones avec l’adoption de la Politique du Québec en matière de francophonie canadienne.

L’ancien ministre Benoît Pelletier était le grand architecte de cette initiative : « Par cette politique, on a fait en sorte que le Québec s’inclue politiquement dans le concept de francophonie canadienne. »

S’en est suivie la conclusion d’ententes de collaboration en matière de francophonie entre le Québec et toutes les autres provinces canadiennes et les territoires. Benoît Pelletier révèle qu’il avait même commencé des discussions discrètes avec le gouvernement fédéral pour signer une entente du genre avec Ottawa, ce qui aurait constitué une grande première.

« On est passé très proche d’avoir un accord. Ça aurait été fort intéressant d’abord que les deux gouvernements s’allient dans leurs efforts pour favoriser l’épanouissement de la francophonie canadienne. »

Benoît Pelletier a quitté la politique avant qu’une entente ne survienne et cette démarche ne s’est pas poursuivie.

Selon Joseph-Yvon Thériault, la Coalition avenir Québec (CAQ) aurait manifesté la volonté d’organiser un « forum de la Francophonie » qui pourrait être le début d’un « nouveau cycle » dans l’histoire de cette relation fort compliquée. Même si rien n’a encore été dévoilé, le sociologue croit que les défis sont encore grands.

« Cette combinaison du caractère distinct de la société québécoise ou de l’existence d’une nation française au Canada et de la notion d’une francophonie pancanadienne, ce n’est pas encore réglé. Ça ne sera peut-être jamais réglé ; c’est-à-dire qu’il y a toujours cette tension en disant : si on reconnait le caractère distinct du Québec, est-ce que ça ne va pas à l’encontre des droits des minorités? »