Par Ophélie DOIREAU

Une Canadienne sur huit sera atteinte du cancer du sein au cours de sa vie. Son diagnostic, Sylvie Mathers l’a reçu en 1994, à l’aube de ses 36 ans. La survivante raconte comment la maladie a fait évoluer son regard sur l’existence.

«Tout s’est fait pas mal vite. » C’est ainsi que Sylvie Mathers résume l’histoire de sa maladie, qu’elle a découverte par hasard.

« En prenant ma douche, un jour j’ai senti une masse bien au-dessus du sein. Ça ne m’a même pas traversé l’idée que ça pouvait être un cancer.

« En 1994, on n’entendait pas autant parler de la prévention, de l’autopalpation. Ce n’était pas un sujet couramment évoqué. « J’ai décidé d’aller voir un médecin. Mais pas pour ça. À la fin de la rencontre je lui ai dit : Au fait, j’ai quelque chose au-dessus du sein, qu’est-ce que tu en penses? Tout de suite elle m’a envoyée faire une mammographie. »

Déjà à ce moment-là, au Manitoba, quand la personne n’a aucun antécédent familial, la première mammographie est obligatoire à partir de 50 ans.

« Je suis donc allée voir le médecin. Entre la mammographie et ma chirurgie, il s’est écoulé 27 jours. Ça a été très rapide.

« Au-delà du choc, à cause de la rapidité on n’a pas vraiment le temps de penser à ce qui est en train de se passer. On n’a pas le temps de réaliser ce qui nous arrive. C’est seulement après que ces étapes sont venues. »

Pour le traitement qui a suivi l’ablation, Sylvie Mathers a uniquement reçu de la chimiothérapie. « Je ne saurais pas dire quel type de cancer j’ai eu, parce qu’encore une fois, en 1994 on n’en savait pas autant que maintenant. Je sais simplement que ma tumeur était au stade 2. En fait, ma bosse était très haute par rapport à mon sein. Et pourtant elle l’avait envahi.

« Et puis dans ce temps-là, il n’y avait pas internet et toutes les informations qu’on peut trouver sur le sujet. C’était simplement des petits livrets.

« De nos jours, je trouve les femmes beaucoup plus informées. On en parle beaucoup plus aussi. Elles peuvent poser des questions bien plus précises sur ce qu’elles ont. Je n’avais pas cette possibilité et je ne savais pas vraiment quoi demander à mon médecin.

« Ceci dit, je ne sais pas si aujourd’hui j’irais en ligne pour trouver des informations. Je pense que parfois il est possible que ça nuise à la santé mentale. »

Pour appuyer davantage son propos sur les avancées médicales, Sylvie Mathers expose un fait. « J’ai subi une mastectomie. Et j’avais demandé à une infirmière s’il était possible de reconstruire le sein. On m’avait répondu : Non, ce n’est pas possible. Le corps ne peut pas supporter un tel choc. Désormais, la reconstruction est presque immédiate. Je n’ai donc pas pu avoir cette option.

« Pendant longtemps, je n’ai porté que des vêtements amples pour cacher un peu. Parce que je n’avais pas envie de porter de prothèse. Dans la première phase de mon cheminement de pensée, ce n’était pas possible, je ne voulais pas.

« Et puis graduellement, environ un an après, le temps d’accepter ce que mon corps venait de subir, j’ai commencé à changer ma façon de voir. J’ai mis une prothèse et j’ai commencé à reporter des vêtements moins amples. »

l Le besoin d’une vie normale

Durant sa lutte active contre le cancer, Sylvie Mathers n’avait pas arrêté de travailler. « De l’extérieur, on ne pouvait pas vraiment dire que j’étais malade. J’avais les cheveux certes très secs, mais je ne les ai pas perdus. Ni mes poils d’ailleurs. C’est un soulagement de ne pas avoir eu le regard des personnes posé sur moi.

« J’avais besoin d’avoir une vie normale. Je voulais voir mes collègues et mes amis. J’avais vraiment besoin de ce contact humain. Je n’ai jamais été une personne qui partage toute sa vie tout le temps. Ce qui a été super, c’est qu’on m’a laissé vivre ma maladie sans m’imposer quoi que ce soit.

« Je n’allais pas au travail les jours de traitement, ni le lendemain. Mais j’ai continué de travailler, pour avoir autre chose dans ma vie.

« Mon équipe de Dragon Boat a aussi été un super appui au fil des années. »

Le plus dur pour Sylvie Mathers est arrivé dans le prolongement de sa chimiothérapie. « Finalement on se retrouve seule avec son cancer. Il n’y a plus de médicament. C’est seulement toi et la maladie. Tout repose sur toi. Émotionnellement, j’ai trouvé ça très dur.

« On dit qu’au bout de cinq ans, on peut se considérer comme guérie. Moi après 26 ans, oui je peux le dire, puisque si je développe un nouveau cancer, ça ne serait pas un résidu du cancer du sein. Mais on a toujours ce poids en tête. Dès que j’ai mal quelque part, je m’inquiète.

« Je dis souvent : I have been blessed with cancer. Bon, d’accord, c’est facile de dire ça maintenant après tant d’années. Mais c’est quand même une vérité : cette maladie m’a permis de vivre tellement d’expériences que je n’aurais pas eu la chance de vivre.

« Et de rencontrer tellement de superbes personnes que je n’aurais probablement jamais rencontrées. Mon cancer a changé ma façon de voir la vie.

« C’est important de se rappeler que les petites affaires qui nous arrivent dans la vie, ce n’est pas grave. Mais il faut bien reconnaître qu’il y a des hauts et des bas. Et que même après 26 ans des fois les petites affaires pourraient être graves. »