Le 11 aout, le ministère de l’Immigration a dévoilé une enveloppe de 2,1 M$ pour « éliminer les obstacles particuliers » qui se dressent sur le chemin des femmes et des filles immigrantes racisées qui tentent d’accéder à un emploi. Parmi ces difficultés majeures, l’une est de taille pour ces nouvelles arrivantes francophones : l’obligation de parler anglais lors de l’embauche.

 

Par Inès LOMBARDO – Francopresse

 

À noter que cette annonce a eu lieu avant le déclenchement des élections fédérales.

Le gouvernement a récemment annoncé un soutien de 2,1 M$ envers 11 projets dans le cadre de l’Initiative pilote pour les nouvelles arrivantes racisées, lancée en décembre 2018.

À l’époque, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) avait déjà appuyé 21 projets visant à aider les nouvelles arrivantes racisées à trouver un emploi et à se perfectionner dans les domaines des études et du travail.

Cet été, l’appui gouvernemental intervient dans un contexte où trouver un emploi correctement rémunéré est particulièrement difficile pour les immigrantes racisées francophones en raison de la pandémie.

« Le bilinguisme, c’est comme une fleur rose »

C’est le cas d’Angèle Menga, une Congolaise arrivée en février 2020. Elle explique que trouver un travail alors qu’elle ne parle pas anglais est un véritable parcours du combattant.

« Ça fait une grande différence de pouvoir parler anglais, affirme-t-elle. Je suis née et j’ai grandi en République démocratique du Congo, où j’ai toujours étudié et vécu en français. Maintenant, avec mes efforts pour apprendre la langue anglaise, je comprends un peu, mais je ne peux pas travailler uniquement en anglais. Je continue de suivre des cours actuellement. »

Elle préfère plaisanter de ce défi : « Le bilinguisme, c’est comme une fleur rose ; tu la vois de loin! Et pour les employeurs, être bilingue, c’est être une fleur rose. Ça frappe et ça attire plus! »

Saint-Phard Désir, directeur général du Conseil économique et social d’Ottawa-Carleton (CÉSOC), observe que le fait de ne pas parler anglais pose un défi lors de l’embauche des femmes immigrantes, mais uniquement pour «une catégorie particulière de femmes. Généralement, les plus formées parleront davantage anglais. Elles pourront davantage avoir un emploi, souvent mieux rémunéré».

Déjà en 2005, Statistique Canada avait déterminé dans une étude que la langue était considérée comme le second frein pour les immigrants à leur arrivée au Canada, après le fait de trouver un travail adéquat. Aujourd’hui, ce frein demeure.

Un fait que Youyou Nsembe Nsombe, agente d’employabilité au CÉSOC, observe dans les chiffres de sa base de données au CÉSOC : « De manière générale, la clientèle immigrante du CÉSOC est à 99 % racisée […] Dans la catégorie des immigrants qui arrivent via le système Entrée express, 95 % des femmes parlent uniquement le français. Seulement 5 % d’entre elles parlent un anglais fonctionnel, mais qui ne leur permettrait tout de même pas de trouver un emploi bien rémunéré. »

En comparaison, Youyou Nsembe précise que « pour les hommes immigrants racisés, c’est différent : 15 % parlent un anglais fonctionnel. Les chiffres sont plus hauts pour eux, car en grande majorité, le demandeur principal des dossiers d’immigration est un homme. Ils se préparent davantage à parler anglais. C’est l’une des hypothèses, avec le fait qu’ils ont plus accès à l’éducation, selon leur pays d’origine ».

Trouver des garderies, une autre charge qui freine le travail

En attendant, Angèle Menga remue ciel et terre pour trouver du travail en français à Toronto. Elle qui était médecin en République démocratique du Congo devrait suivre « environ trois ans de cours » pour faire valoir son diplôme, si elle veut un jour exercer la médecine au Canada.

« Je le ferai dans les années à venir. Mais pour l’instant, n’importe quel travail que je peux exercer de préférence de chez moi me conviendrait, parce que j’ai une fille de quatre ans que je ne peux pas laisser seule », glisse-t-elle.

C’est l’autre difficulté majeure qui s’ajoute à la barrière de la langue : faire garder les enfants pour se libérer du temps et avoir un travail à temps plein. Une préoccupation qui se retrouve chez les femmes acadiennes et francophones en milieu minoritaire, immigrantes ou non.

En septembre 2020, l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne (AFFC) a publié le rapport de son Enquête pancanadienne sur les priorités des femmes francophones et acadiennes du Canada.

Selon les résultats, 13,7 % des répondantes considèrent comme prioritaire l’enjeu d’un système de garderies universel pour les francophones, derrière l’accès aux services de santé en français (27,4 %) et l’équité salariale dans les secteurs privé et public (26,4 %).

« Les femmes francophones viennent en majorité de pays où ce sont elles qui ont la responsabilité des enfants, confirme le directeur du CÉSOC, Saint-Phard Désir. En cela, les immigrantes ont un autre défi en plus par rapport aux immigrants masculins. »

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La vague montante de la langue française grâce à l’immigration

Statistique Canada rapportait en 2017 qu’« en 2016, les immigrants représentaient une plus grande part de la population de langue française au Canada hors Québec que dans les recensements précédents. Cette part est ainsi passée de 9,9 % en 2006 à 12,8 % en 2016, une augmentation de 2,9 points de pourcentage.

En revanche, les immigrants constituaient un plus grand pourcentage de la population de langue anglaise […] [Hors Québec], les immigrants constituaient 23,5 % de la population de PLOP [première langue officielle parlée, NDLR] anglaise en 2016, en hausse de presque 2 points de pourcentage depuis 2006 ».

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