FRANCOPRESSE – Comment les francophonies canadiennes peuvent-elles mieux faire communauté? C’est la question qu’ont tenté d’élucider les panélistes de la troisième et dernière journée d’étude sur l’immigration et les communautés francophones minoritaires du Centre de recherche en civilisation canadienne-française. L’une des clés pour y parvenir serait de passer de l’intégration à l’hospitalité, en permettant aux immigrants francophones d’apporter leur touche personnelle aux identités franco-canadiennes.

Ericka Muzzo – Francopresse

« Dans les écoles du Manitoba, cette notion d’“identité franco-manitobaine”, beaucoup d’immigrants disent ne pas s’y reconnaitre, dans les évènements, les activités […] La question, c’est comment est-ce qu’on se sent chez soi dans la différence? » questionne Nathalie Piquemal, professeure à la Faculté d’éducation de l’Université du Manitoba.

À ses yeux, «la notion d’intégration a une connotation passive ; j’arrive dans un nouveau milieu, on m’accueille gentiment, j’apprends les normes sociales de ce nouveau milieu et je m’adapte. Pour moi, ce n’est pas un projet de société commun », critique la professeure, qui a coréalisé plusieurs recherches sur le sujet.

Elle suggère plutôt davantage de fluidité et d’ouverture au changement dans les communautés francophones minoritaires, comme « d’ouvrir les programmes scolaires à un regard critique pour dépasser les silos ».

À l’inclusion ou l’intégration, Nathalie Piquemal préfère la notion d’hospitalité, « dans le sens où la personne qui accueille accepte aussi que les gens qui arrivent changent l’environnement. Pour se sentir bien chez soi dans la différence, la seule façon c’est de pouvoir changer l’environnement dans lequel on arrive », défend la professeure.

La culture, rassembleuse

« Pour moi, quand on parle d’immigration francophone, on parle du développement d’une communauté », lance pour sa part l’artiste Yao. À ses yeux, cela passe inévitablement par l’aspect culturel.

« Je me rappelle d’ailleurs avoir entendu une super belle phrase qui disait que la culture réussit souvent là où la politique échoue », ajoute-t-il en riant.

« On a des éléments qui nous rassemblent autour de la table et on oublie qu’il existe un lien très fort entre langue et identité culturelle. En Ontario, on l’a vécu entre autres en culture avec le Festival franco-ontarien (FFO) qui se disait : “Pourquoi est-ce qu’on n’arrive pas à attirer les gens des communautés ethnoculturelles?” »

« Et eux de leur répondre : “Nous ne nous reconnaissons pas comme Franco-Ontariens. Donc le Festival franco-ontarien ne nous interpelle pas nécessairement” », relate encore l’artiste.

Il ajoute que cela a mené durant quelques années à l’instauration du « piquenique africain » dans le cadre du FFO, ce qui n’a pas forcément fonctionné pour attirer les membres des communautés ethnoculturelles.

« Je pense qu’il devrait y avoir beaucoup plus de concertation entre les institutions et les secteurs divers pour trouver des stratégies qui englobent les diverses facettes du processus d’immigration – le côté humain du processus, qui est non seulement l’avant, le pendant, mais aussi le après », suggère Yao, qui souligne aussi l’importance de pouvoir concilier de multiples identités avec celle de « francophone ».

Celui qui a voyagé dans la plupart des communautés francophones au pays estime tout de même que la vitalité y est bien présente. Ce qu’il déplore, c’est que les nombreuses initiatives mises en place soient de courte durée, créant « une inaptitude à se projeter dans le futur ».

L’artiste souhaiterait voir des projets structurants sur la longévité, « sur dix ans, sur quinze ans […] Mettre en place les fondations de quelque chose de beaucoup plus solide, qui va venir jouer sur le processus d’intégration des francophones des communautés ethnoculturelles ».

« Favoriser une gouvernance plus cohérente et plus porteuse »

Pour Christophe Traisnel, professeur de science politique à l’Université de Moncton, «la question, c’est d’embarquer les nouveaux arrivants dans ce processus du faire communauté ».

« Ça passe notamment par leur meilleure [visibilité], en particulier au niveau des instances de représentation politique. Il y a trop peu — et là je parle surtout pour l’Acadie — de minorités visibles ou de personnes issues de la diversité qui sont élus municipaux », déplore-t-il en soulignant l’élection cette année du tout premier maire noir d’Acadie, Kassim Doumbia à Shippagan.

Le professeur observe également que du côté des communautés francophones minoritaires, « nos gouvernances communautaires sont bien loin d’être gouvernantes, en fait ».

Il regrette que les priorités politiques mises de l’avant soient plus souvent celles de l’État que celles des communautés elles-mêmes. « On en voit les limites : le récent rapport du Commissariat aux langues officielles sur la non-atteinte de la cible [de 4,4 % d’immigration francophones hors Québec, NDLR] montre qu’on est encore une fois face à une gouvernance gouvernante qui décide au nom et à la place de la gouvernance communautaire. Il y a un réel problème à mon sens ».

Mariève Forest, présidente de la firme de consultation Sociopol, estime à ce sujet « qu’il y a quand même des éléments à notre portée qui pourraient être mis en place pour favoriser une gouvernance plus cohérente et plus porteuse des communautés francophones », comme le fait de travailler davantage en collaboration et moins en silos.

« Il y aurait certainement une gouvernance plus concertée au niveau fédéral qui amènerait une économie des énergies et plus de cohérence au niveau communautaire, parce que pour l’instant on voit une multiplication des organismes, des énergies, etc. Ça peut créer des conflits et éventuellement même un désengagement », constate l’experte.

Enfin, Mariève Forest note que les communautés francophones minoritaires éprouvent encore des difficultés à « planifier des activités qui permettent une harmonisation des cultures – c’est-à-dire où il y a une expression de la diversité, mais qui ne va pas juste pour un groupe ».

À titre d’exemple, elle cite l’organisation de festivals à thématique « ethnoculturelle » et d’autres de « traditions locales », qui peinent à s’entremêler.

« C’est un enjeu qui déborde largement la manière dont c’est financé, mais parfois il y a quand même des dynamiques où la manière dont les ministères vont financer ces activités-là […] ça empêche finalement le maillage d’une personne résidente permanente et une personne citoyenne canadienne, par exemple. »

« Ça existe encore, et ça ne devrait pas exister à mon avis si on veut parler d’une réelle vitalité qui est inclusive de toutes les populations francophones », conclut Mariève Forest.

Luisa Veronis, professeure agrégée à l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche sur l’immigration et les communautés franco-ontariennes, qui coorganisait les trois journées d’étude, indique que les ateliers seront disponibles pour réécoute en baladodiffusion sur le site du Centre de recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF).

Elle précise également qu’un rapport synthèse « avec des recommandations destinées principalement aux décideurs politiques (qui pourraient être pertinentes également pour les praticiens et/ou leadeurs communautaires) » ainsi qu’un livre dirigé paraitront pour faire suite aux journées d’étude.