L’archevêque de Saint-Boniface, Mgr Albert LeGatt, a tenu à participer à titre d’observateur au voyage des délégations autochtones qui ont rencontré le Pape entre le 28 mars et le 1er avril. L’archevêque s’apprête à retourner à Rome dans le cadre de la rencontre de la Fédération métisse du Manitoba (FMM) avec le Pape, prévue le 21 avril.
Par: Ophélie DOIREAU
Dans quel esprit étiez-vous allé au Vatican?
Je ne faisais pas partie de la délégation officielle. J’avais décidé d’y aller de moi-même, accompagné du père François Paradis et de Lisa Raven, les directeurs de Returning to Spirit (1).
Mon intention c’était d’être présent pour prier, parce qu’il s’agit d’une situation bien complexe. Il y a bien des espoirs, des possibilités, mais aussi de possibles embûches. J’y allais donc pour prier.
J’étais aussi là pour recevoir ce qui se disait au moment où se tenaient les conversations : Comment François et Lisa recevaient ça? Comment voyaient-ils ça? Je résidais à la maison générale des Oblats. Donc on pouvait aussi échanger avec des Oblats du monde sur la façon dont eux recevaient ça.
Je voulais vraiment être au beau milieu de l’évènement pour prier, écouter et recevoir.
Lors de ces rencontres, on a remarqué que les Métis du Manitoba étaient absents. Vous allez les accompagner à Rome prochainement…
Je tiens à apporter des clarifications. La semaine du 28 mars au 1er avril, il n’y avait pas de Métis du Manitoba, à cause des relations entre la FMM et le Ralliement national des Métis. La FMM a approché l’archevêque de Winnipeg Mgr Gagnon et moi-même pour sonder la possibilité d’une audience particulière des Métis de la Rivière-Rouge avec le Pape. Cette rencontre aura lieu le 21 avril.
La FMM m’a demandé si j’étais prêt à les accompagner, parce que l’histoire des Métis de la Rivière-Rouge et celle de l’Église manitobaine sont liées à plusieurs égards. Comme ils précisent que c’est une délégation des Métis de la Rivière-Rouge, alors je dis que j’accompagne les Métis de la Rivière-Rouge.
J’ai aussi convié à titre personnel, comme mes propres invités, Paulette Duguay, la présidente de l’Union nationale métisse Saint-Joseph du Manitoba, et son vice-président, Justin Johnson. Ils ne font pas partie de la délégation.
Que vous a apporté votre séjour à Rome?
J’ai retenu l’importance des mots. Mais encore plus l’importance des attitudes qui se voient et qui se ressentent. Je vais clarifier mon propos. L’accueil simple, chaleureux et très ouvert du Saint-Père a été profondément ressenti. Son écoute a été très attentive lors des audiences avec les Métis, les Inuits et les Premières Nations, qui ont pu partager leurs expériences des pensionnats autochtones, leur vécu, leurs situations actuelles. Ils ont pu transmettre leurs revendications, leurs espoirs pour l’avenir et leur désir de réconciliation.
Lors des trois premières audiences, sans cesse on entendait les gens dire que le Pape était à l’écoute. Cette attitude m’a réchauffé le coeur et m’a montré que ça allait dans la bonne direction
Il y a eu d’évidence des moments forts en émotions…
Je retiens en particulier l’échange de cadeaux. C’est un acte très important dans n’importe quelle relation humaine, mais particulièrement chez les peuples autochtones, où l’échange de cadeaux est chargé de toute une signification.
Les cadeaux que les délégués ont apporté au Saint-Père avaient chacun une signification particulière. Le conseiller spirituel, Fred Kelly, en donnant au Saint-Père une plume blanche, lui a dit : Ton nom est désormais Plume Blanche. J’ai assisté à un échange de dons, un échange de sentiments de l’un envers l’autre. C’était aussi un échange d’intentions et, en fin de compte, un échange d’engagements. J’ai vraiment été touché.
Les excuses du Pape envers les peuples autochtones vous ont marqué?
Je le redis : les mots sont importants. Dans l’intervention de l’audience finale, le Pape, et les personnes qui ont participé à la rédaction du texte, ont vraiment pesé le poids de chaque mot : Je suis vraiment désolé – vraiment, le Saint-Père s’est excusé pour les blessures et même les abus perpétrés dans les écoles où il y avait des gens d’Église.
Il a demandé pardon aux Autochtones. Son geste signifie qu’on reconnaît le passé et qu’on veut marcher ensemble dans l’avenir.
La reconnaissance prenait en considération les personnes qui ont été dans les pensionnats autochtones, et ce depuis le contact des Autochtones avec les colons. Le Saint-Père a accueilli dans son coeur ce que l’autre vit et ce que l’autre dit.
Sa demande de pardon a été faite en union avec les évêques du Canada. Ainsi d’une part il se fait le porte-parole des évêques du Canada. Et d’autre part, il revient à l’Église au Canada de faire sa part, qui est la part la plus importante, parce qu’elle prend place au niveau local.Vous attendiez que le Pape présente ses excuses?
Oh oui! Parce que s’il ne le faisait pas là, toute la dynamique de cette rencontre aurait été faussée. Il voulait que ce soit vrai. Par contre, ceux qui pensent qu’après les excuses il n’y a plus rien à faire ne comprennent pas la dynamique d’une réconciliation. Les torts du passé ont besoin d’être portés ensemble pour que la guérison puisse se faire. Il faut guérir de la méfiance, guérir des positions figées dans la colère.
Une première délégation autochtone avait rendu visite au Pape Benoît XVI en 2009. Aucune excuse n’avait alors été présentée. Le contexte semble vraiment différent en 2022…
Quand on demandait à Phil Fontaine, l’ancien chef de l’Assemblée des Premières Nations : Pourquoi ça a pris si longtemps?, lui répondait de manière simple : C’est le Créateur qui a choisi que ça se passe maintenant. Sa réponse n’a jamais fait porter la faute sur quelqu’un.
Phil Fontaine disait aussi que la grande différence est à chercher dans la société canadienne. La découverte des tombes anonymes, l’été passé, a relevé le niveau de conscientisation des évêques du Canada, des catholiques du Canada, et des Canadiens et des Canadiennes en général.
Lors de l’audience finale, le Pape a aussi évoqué sa venue au Canada, allant jusqu’à sous-entendre qu’il pourrait venir autour de la Sainte Anne. Quelle symbolique y voyez-vous?
Le Saint-Père a évoqué une date liée à un pèlerinage qui a lieu déjà depuis longtemps en l’honneur de sainte Anne, la grand-mère de Jésus. ll faut y voir tout le sens accordé à la grand-mère dans la société autochtone. Et de fait dans la société en générale.
Il choisit ainsi de venir non pas en tant que porte-parole, mais bien en tant que pèlerin avec d’autres pèlerins.
D’ailleurs les délégués lui ont donné deux paires de mocassins : une d’enfant et une exactement à sa pointure. Ils ont confectionné des mocassins pour dire : « On marche ensemble, où va-t-on se rendre? La réponse est dans la main du Créateur/de Dieu. » Une chose est certaine : tout est dans les mains de la bonne volonté, dans un esprit d’ouverture, d’humilité, d’écoute, de respect de l’un envers l’autre.
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