FRANCOPRESSE – Avec un taux de 11,1% d’inflation à l’Île-du-Prince-Édouard ou encore de 3,5% au Nunavut, l’inflation est loin d’être homogène à l’échelle du pays. Ces écarts dans la hausse des prix sexpliquent notamment par les couts de transport et de logement, mais aussi par le poids de l’énergie et de lalimentation dans le budget des ménages, très différents selon les provinces et territoires. 

Marine Ernoult — Francopresse

En un an : + 7,7 %. C’est la progression moyenne des prix à la consommation entre mai 2021 et mai 2022, selon Statistique Canada. Du jamais-vu depuis janvier 1983. Deux secteurs portent cette inflation galopante : l’alimentation, qui a pris 9,7 % au mois de mai, et surtout l’énergie et l’essence, qui ont respectivement bondi de 34,8 % et 48 %, en un an. 

La flambée affecte l’ensemble des provinces et territoires, mais l’inflation fait parfois le grand écart.

La hausse des prix à l’Île-du-Prince-Édouard (Î.-P.-É.) a atteint 11,1 % en mai, selon les chiffres publiés par Statistique Canada ; soit plus du triple que les 3,5 % enregistrés au Nunavut.

Les Territoires du Nord-Ouest, bien que frontaliers du Nunavut, ont vu leurs prix grimper de 7,5 %, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick de 8,8 %, alors que la Saskatchewan n’affiche que 7 % d’augmentation, soit le niveau le plus bas de toutes les provinces.

Des écarts qui s’expliquent entre autres par le prix de l’énergie, de l’immobilier et du transport des aliments.  

La régulation du cout de l’énergie fait une différence

L’une des raisons qui expliquent cet écart notable entre les provinces est le poids de l’énergie dans le budget des ménages. Il est par exemple beaucoup plus lourd à l’Î.-P.-É., au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse. Le renchérissement des tarifs de l’essence et du mazout affecte durement les habitants des trois provinces de l’Atlantique. Rien qu’à l’Î.-P.-É., les prix de l’essence se sont envolés de plus de 57 % et ceux du mazout de plus de 120 % au cours de l‘année. 

James Sentance est professeur d’économie à l’Université de l’Î.-P.-É. (Photo : gracieuseté)

« On dépense beaucoup plus que les autres Canadiens pour se chauffer, car beaucoup de maisons sont chauffées au mazout, contrairement au reste du pays, où le recours au chauffage électrique et au gaz naturel est plus répandu », analyse James Sentance, professeur d’économie à l’Université de l’Î.-P.-É.

À l’inverse, en Alberta, certaines mesures budgétaires prises par le gouvernement provincial au printemps dernier ont réussi à limiter l’impact de la valse des étiquettes sur le pouvoir d’achat. La suspension de la taxe provinciale sur les carburants et les remises de 150 $ offertes sur les factures d’électricité ont permis de réduire l’importance de l’envolée des prix. En mai, l’inflation s’élevait ainsi à 7,1 % en Alberta, un chiffre en dessous de la moyenne nationale.

Plus au Nord, au Nunavut, la régulation des tarifs de l’énergie et des carburants, une particularité unique au pays, explique en partie le taux d’inflation singulièrement faible.

« Le diésel mais aussi les tarifs d’électricité résidentiels — jusqu’à un certain niveau d’utilisation mensuelle — sont largement subventionnés », détaille Trevor Tombe, professeur d’économie à l’Université de Calgary. Et d’insister : « Quand on parle d’inflation, on parle de croissance des prix, ça ne dit rien du niveau des prix qui demeure très élevé au Nunavut, mais aussi au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest. » 

Trevor Tombe est professeur d’économie à l’Université de Calgary. (Photo : gracieuseté)

Écarts majeurs dans les couts de l’immobilier

Trevor Tombe soulève également un «problème de collecte de données» dans les territoires canadiens. « Statistique Canada ne mesure pas les prix partout, les seules vraies évaluations se font à Yellowknife, Whitehorse et Iqaluit, regrette l’économiste. Il peut y avoir des dynamiques de prix très différentes dans des communautés plus éloignées qui ne sont pas prises en compte ». 

Le secteur de l’énergie n’explique toutefois pas à lui seul la situation. Cette disparité des taux d’inflation entre provinces et territoires reflète aussi des différences dans le cout du logement.

En Saskatchewan, les prix de l’immobilier ont seulement augmenté de 3,9 % entre mai 2021 et mai 2022, alors que pendant la même période ils ont grimpé de 15,4 % au Manitoba.

Résultat, la Saskatchewan a le taux d’inflation le plus bas au pays (7 %), et le Manitoba, le plus élevé dans l’Ouest (8,7 %). 

D’une manière générale, Nicolas Marceau, professeur d’économie à l’Université du Québec à Montréal, rappelle que «la façon dont la concurrence joue dans les différents secteurs d’activité» explique aussi que les prix n’évoluent pas partout au même rythme. « Plus un marché est petit, comme celui de l’Î.-P.-É., moins il est concurrentiel, et plus les prix sont susceptibles d’augmenter rapidement », résume-t-il.

Nicolas Marceau est professeur d’économie à l’Université du Québec à Montréal. (Photo : gracieuseté)

Plus cher pour se nourrir en Atlantique  

Enfin, ajoute Nicolas Marceau, les couts du transport ne sont pas totalement étrangers aux rythmes d’inflation constatés. « La distance entre les marchés et les sources d’approvisionnement ou les ports d’entrée est le principal facteur des variations des couts des aliments entre les provinces », précise-t-il. 

Au Canada, le Saint-Laurent, l’Ontario et le port de Vancouver constituent les grandes portes d’entrée des marchandises, que ce soit par voie terrestre ou maritime. 

« À l’Est, un cout de transport supplémentaire s’ajoute pour les provinces de l’Atlantique et les distributeurs veulent le récupérer, observe Mario Seccareccia, professeur émérite d’économie à l’Université d’Ottawa. Quant à l’Ouest, si les marchandises arrivent à Vancouver, elles s’y vendront moins cher que dans les Prairies, où elles doivent parcourir un trajet en train supplémentaire pour y parvenir. »

« Certaines provinces peuvent aussi être avantagées par la présence de productions alimentaires importantes ou d’usines de transformation, et d’autres qui n’en ont pas sont plus vulnérables à des prix élevés », souligne le spécialiste. 

Mario Seccareccia est professeur émérite d’économie à l’Université d’Ottawa. (Photo : Giovanna Mazza)

La hausse du taux directeur divise

Le 13 juillet, la Banque du Canada a rehaussé son taux directeur d’un point. Il s’élève désormais à 2,50 %. Par cette décision, l’organisme régulateur tente de freiner l’inflation qui, en mai dernier, a atteint un record en 39 ans.

L’économiste Nicolas Marceau accueille favorablement cette annonce : « C’est efficace, le relèvement des taux d’intérêt sur les prêts hypothécaires va dissuader les particuliers d’emprunter, les inciter à épargner davantage et à dépenser moins. »

L’économiste Mario Seccareccia se montre lui plus prudent quant à l’efficacité d’une telle mesure. « La banque centrale contrôle uniquement l’inflation sur certains secteurs comme l’immobilier, alors que l’actuelle flambée des prix est en large partie due à la hausse des couts de l’énergie », estime-t-il.

Le prix de l’énergie dépend en effet de facteurs internationaux comme la guerre en Ukraine ou la persistance de tensions sur les chaines d’approvisionnements liées aux confinements en Chine. À terme, Mario Seccareccia craint une tempête économique durable, avec un possible retour de la stagflation, soit une période de stagnation économique combinée à une inflation élevée.

C’est pourquoi l’économiste Trevor Tombe appelle plus que jamais les autorités, fédérales et provinciales, à soutenir les ménages à faible revenu, « frappés plus durement par la flambée des prix » : « C’est un moment décisif, les gouvernements peuvent verser des allocations ciblées pour augmenter les revenus des plus pauvres et atténuer les effets inégalitaires. »