FRANCOPRESSE – Des athlètes de diverses disciplines au Canada dénoncent depuis plusieurs mois les mauvais traitements qu’ils ont subis pendant leurs périodes d’entrainement. Allant du harcèlement sexuel à la négligence en passant par les abus physiques, les histoires de maltraitance sont nombreuses tant dans le sport de compétition de haut niveau que chez les débutants. Les athlètes, qui dénoncent le manque d’appui des organisations sportives, ont encore peu de recours pour faire face à la situation.

Marianne Dépelteau – Francopresse

« On a énormément progressé au cours des dernières années […], mais force est de constater qu’on a encore des problèmes et il faut s’y attarder. Il faut les régler et le leadeurship ici s’y attèle », affirme Martin Goulet, directeur général de Water Polo Canada et coprésident du caucus des fédérations nationales de sport.

À peine cinq mois après être entrée en fonction, la ministre fédérale des Sports, Pascale St-Onge, avait déjà reçu des plaintes contre huit fédérations sportives : Athlétisme Canada, Bobsleigh Canada Skeleton, Canada Aviron, Canada lutte, Curling Canada, Gymnastique Canada, Natation artistique Canada, Rugby Canada – et contre six fédérations provinciales de gymnastique.

La présidente l’association des athlètes des équipes nationales canadiennes (Athlètes CAN) et doctorante à l’Université de Toronto, Erin Willson, a participé en 2019 à une étude sur les mauvais traitements dans le sport : « Il y a plusieurs athlètes qui, après avoir vu les résultats de l’étude, ne savaient même pas que les types de comportements qu’ils subissaient étaient considérés comme abusifs, juste parce que c’est tellement normalisé dans le sport. »

Erin Willson fait partie des nageuses artistiques qui ont lancé le recours collectif contre Canada artistic swimming. (Photo : gracieuseté Athletes CAN)

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Prévalence de la maltraitance dans le sport canadien

Athlètes qui signalent avoir subi au moins une forme de maltraitance Athlètes actuels Athlètes à la retraite
… négligence 67 % 76 %
… abus psychologique 59 % 62 %
… harcèlement sexuel 20 % 21 %
… mauvais traitements physiques 12 % 19 %

Source : AthlètesCAN, Prévalence des mauvais traitements chez les athlètes, tant anciens qu’actuels, de l’équipe nationale, rapport de 2019

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Trop sérieux, trop tôt?

La patineuse artistique Sandra Bezic a participé aux Jeux olympiques de Munich, en 1971. Elle n’avait alors que 15 ans. Souffrant de blessures et d’épuisement en plus de subir la pression de son entourage, l’athlète qui compétitionnait sur la scène internationale depuis l’âge de 12 ans a dû prendre sa retraite à 17 ans.

« J’ai voyagé dans le monde entier, c’était merveilleux à bien des égards et j’ai noué des amitiés profondes avec des gens de partout, raconte-t-elle. D’un autre côté, c’était comme un travail. C’était un emploi du temps exigeant qui peut être vraiment difficile pour un enfant. Les heures qu’il doit passer à s’entrainer pour devenir un athlète d’élite dépassent souvent ce qu’il peut vraiment gérer, mais il finit par le faire parce que c’est normal pour lui. » 

En plus des mauvais traitements dont peuvent être victimes les athlètes, la liste des problèmes dans le sport de haut niveau est longue. « Il y a toujours des enfants qui sont poussés fortement, que ce soit à l’école, dans les arts ou dans les sports, normalement pour accomplir le but des parents […] l’idée est de protéger ton enfant contre la maltraitance », ajoute Sandra Bezic.

Selon elle, « le plus important pour les parents est de s’informer et de faire de l’introspection sur leurs propres motivations, à savoir pourquoi ils inscrivent leurs enfants dans des activités spécifiques. »

Erin Willson, qui a fait partie de l’équipe canadienne de nage synchronisée des Jeux olympiques de Londres en 2012, témoigne de ce qu’elle a vécu. « Il y avait beaucoup d’abus émotionnels comme nous crier après et tenter de nous contrôler. Il y avait beaucoup de manipulation, beaucoup de critiques par rapport à nos corps. Notre poids était surveillé […] il n’y avait aucun aspect de notre corps qui ne faisait pas l’objet de critiques. »

Elle souligne que « dans le monde entier, il y a tellement d’histoires d’enfants et de jeunes qui vivent cela, quel que soit leur niveau […], il doit y avoir un changement de culture, pas seulement au niveau national. »

Selon Jérémie Chase, physiologiste et préparateur physique pour le Centre canadien du sport du Manitoba, certains entraineurs « poussent les limites peu à peu à chaque fois juste pour voir si l’athlète va répondre de façon négative, alors il y a une forte tendance que ces limites soient poussées au point d’être normalisées, bien qu’au final, c’est vraiment dans la zone d’abus. »

Intervention du ministère canadien des Sports

La ministre Pascale St-Onge a annoncé qu’à compter d’avril 2023, Sport Canada apportera des changements aux accords de contribution conclus avec les organisations sportives financées par le gouvernement fédéral afin de les assujettir à des normes de gouvernance, d’imputabilité et de sécurité.

Pour l’instant, les organisations sportives non financées par le gouvernement fédéral, comme plusieurs programmes de sport-études, écoles et clubs sportifs, ne sont pas visées par ces mesures. Des sports comme la danse ou la crosse, sport national d’été du Canada, ne sont pas visés par ces mesures.

Depuis le 20 juin 2022, le Bureau de la commissaire à l’intégrité dans le sport recueille les plaintes d’incidents de maltraitance dans le sport, a l’autorité d’ouvrir des enquêtes indépendantes et peut recommander des sanctions contre les coupables.

Selon Jérémie Chase, il faudrait que « les athlètes aient confiance qu’il y aura une résolution et que leurs droits sont protégés. Un athlète a beaucoup à perdre si l’entraineur ou la personne qui l’abuse découvre qu’il a porté plainte et si la plainte n’est pas [traitée], l’athlète est encore plus vulnérable ».

Jérémie Chase est physiologiste et préparateur physique pour le Centre canadien de sport du Manitoba. (Photo : Cory Aronec Photography)

La formation des entraineurs

Selon Erin Willson, les entraineurs répètent ce qu’ils ont vécu eux-mêmes en tant qu’athlètes. Par ailleurs, l’accréditation des entraineurs n’est pas soumise à des règles claires, surtout dans le sport de plus bas niveau où le financement est moins important et où il y a beaucoup d’entraineurs bénévoles.

« Un enseignant perdrait son emploi en un battement de cœur s’il faisait quelque chose de semblable [à certains entraineurs], soutient Erin Willson. Pourtant, c’est le même enfant qui voit l’enseignante de mathématiques et l’entraineur. »

La ministre des sports, quant à elle, assure que « Sport Canada va travailler avec toutes les organisations pour avoir les meilleures formations disponibles et pour donner les outils pour que tout le monde se sente confortable et pour qu’il y ait une vision claire des comportements normaux ».

La culture du silence règne toujours

Comme les entraineurs sont responsables de la formation des équipes, de la tenue des matchs, de la position des joueurs, entre autres, ils se trouvent dans une position de pouvoir devant les athlètes selon Erin Willson. « Les athlètes sont essentiellement prêts à tout faire pour atteindre leur but, mais il y a un tel déséquilibre de pouvoir que s’ils s’expriment contre leur entraineur, qui a tout le pouvoir sur l’atteinte du but… il y a une peur de représailles. » 

Jérémie Chase espère que les experts médicaux auront une place à la table des discussions à l’avenir : « Je ne crois pas qu’au niveau de Sport Canada, on soit inclus au point qu’on devrait l’être. »

Il observe que le monde du sport protège encore trop les entraineurs abusifs.

« Si personne ne rapporte, il y a très peu de chances que ça va être investigué. Il y a certains organismes qui pourraient même protéger leurs entraineurs. S’il y en a juste un bon au pays qui peut entrainer l’équipe nationale, l’organisme risque de perdre beaucoup en trouvant leur entraineur coupable. »