En 2015, la Commission de vérité et réconciliation du Canada a publié une liste de 94 recommandations. L’une d’elle, la 58e plus précisément, demande « au pape de se présenter, au nom de l’Église catholique romaine,» et de s’excuser pour les abus commis dans les pensionnats autochtones dirigés par ses églises au Canada. Le 1er avril 2022, le pape François a demandé pardon au Vatican devant une délégation de personnes autochtones venant du Canada. En complément, le pape a promis d’exprimer sa proximité avec les peuples autochtones du pays. Celle-ci se concrétise aujourd’hui par sa visite sur le territoire canadien.

Par Vienna Doell

IJL – RÉSEAU.PRESSE – LE FRANCO

Le père Noël Farman, de la paroisse catholique francophone Sainte-Famille de Calgary, explique que le pape François se déplace au Canada « malgré sa santé et ses enjeux de mobilité ». Le père Noël décrit que le pape François est là pour « être à l’écoute de tout le monde ».

Cette présence au Canada est absolument nécessaire pour certains. Celina Yellowbird, une jeune étudiante métisse, crie et française de l’Université de l’Alberta affirme que l’excuse au Vatican en avril 2022 n’a pas suffi. 

Résidente de la région du Traité 6 et membre de la Première Nation d’Alexander en Alberta, elle ajoute que le pape « aurait pu s’excuser, il y a longtemps, quand la Commission de vérité et réconciliation est sortie ». Elle estime d’ailleurs que venir au Canada pour s’excuser « démontre qu’ils ont eu tort. Et donc, en montrant qu’ils ont tort, ils sont en train de confirmer que ce qui s’est passé était vrai et inacceptable ».    

Celina Yellowbird, étudiante crie d’origine française de l’Université de l’Alberta. (photo : gracieuseté)

Une visite du Saint-Père qui divise 

Il ne faut pas négliger que cette visite est attendue aussi par tous les catholiques du Canada. Quand Jean-Paul II est venu à Edmonton en 1984, on comptait 613 755 catholiques en Alberta selon les Archives provinciales de l’Alberta (PR1992.0300). Selon le dernier décompte de Statistique Canada en 2011, il y avait 866 305 catholiques en Alberta. 

« Comme toutes les autres paroisses, on a hâte qu’il vienne », explique le père Noël. Il ajoute que si on lui demande d’être présent durant la visite du pape, « ça sera ma grande joie! »     

Alors que la population autochtone espère des excuses du Saint-Père, il est difficile de savoir si les Albertains dans leur ensemble seront sensibles aux mots qu’il dira. « Cela va être difficile de savoir si les non-Autochtones vont être affectés ou non parce qu’il ne s’excuse pas auprès d’eux », suppose Celina Yellowbird. 

D’ailleurs, elle souligne qu’en Alberta, il y a encore de nombreuses rhétoriques négatives concernant la justice envers les Autochtones. « Il y a encore des gens, surtout en Alberta, qui se questionnent : “doit-il vraiment venir ici pour s’excuser?” » 

Même si l’Église a imposé avec force l’endoctrinement de la religion catholique sur les personnes autochtones, une messe est prévue au Commonwealth Stadium, à Edmonton, le 26 juillet. La jeune étudiante n’est pas en accord avec la tenue de cette messe. « Ce n’est pas approprié parce que… c’est cette religion qui nous a fait du mal, qui a détruit un peuple et sa culture ». Elle reconnaît néanmoins que « beaucoup d’Autochtones qui sont catholiques et pratiquent aussi la culture [autochtone] » apprécieront la messe. 

Et elle n’a pas tort. Un des plus grands pèlerinages des Autochtones catholiques sera visité par le pape après la messe. Chaque année, le lac Sainte-Anne est visité par plus de 35 000 personnes catholiques autochtones et non-autochtones. Les catholiques se déplacent en grand nombre de partout en Amérique du Nord pour cet événement spirituel. Toutefois, ce que le pape abordera dans ses discours influencera grandement la réaction de tous durant sa visite.

Un message sous haute tension

Le père Noël explique que le message du pape « vient spontanément du cœur ». Toutefois, il perçoit que « cela sera un nouveau point de départ pour la réconciliation» et l’émergence d’un mouvement où les êtres humains, peu importe leur citoyenneté ou leurs origines, vivront socialement sur un pied d’égalité. 

Cela dit, Celina Yellowbird met en évidence que le pape évite encore de caractériser certaines horreurs auxquelles les peuples indigènes ont été confrontés. « Il ne voulait pas directement dire que c’était un génocide pendant son discours au Vatican », explique-t-elle. Rappelons que dans celui-ci, le pape a demandé pardon à Dieu pour la «conduite déplorable de ces membres de l’Église catholique» envers les autochtones au Canada. Des excuses attendues depuis des décennies par les Autochtones.  

Néanmoins, selon la jeune femme crie, il est important qu’il y ait une reconnaissance de ce génocide commis par l’Église. « S’il ne l’avoue pas, ça risque de créer des problèmes », explique-t-elle. Ceci étant dit, la réconciliation ne s’arrête pas à de simples mots, des actions sont également attendues. 

L’Église doit prendre en compte les populations locales

Le père Noël dit que la paroisse catholique francophone Sainte-Famille de Calgary « est prête à une mission à Fort Smith aux Territoires du Nord-Ouest ». Il explique que cette mission, terme religieux qui nous ramène étrangement à l’époque des écoles résidentielles, serait en fait une façon d’aider les populations dans le besoin. « Un tel voyage permettrait d’offrir des services, de l’amitié, de la sympathie et de la solidarité… lorsqu’il y a un besoin. » 

Celina suggère que les enjeux de l’eau potable et le délabrement « des maisons » et des bâtiments sur les réserves pourraient bénéficier de l’argent de l’Église. Elle suggère que les paroisses de la province devraient « penser localement, au lieu de penser globalement » quand il s’agit d’aider ceux qui sont dans le besoin. « Au lieu de faire un voyage missionnaire en Afrique, pourquoi ne pas donner cette aide aux communautés autochtones qui en ont besoin », signale-t-elle. 

Même si cette visite du pape « amplifie nos souffrances » et envoie un message d’action aux églises pour la réconciliation, Celina ne veut pas que les peuples autochtones soient connus seulement pour leurs souffrances. « Nous ne sommes pas que des souffrances, nous ne sommes pas juste un traumatisme… nous avons tellement d’intelligence… nous sommes des peuples autochtones forts et résilients ».