FRANCOPRESSE – De l’inflation verte à l’écoblanchiment, les changements climatiques s’invitent dans le portefeuille de la population canadienne, un phénomène qui risque de prendre de l’ampleur si la planète continue de se réchauffer.
Ericka Muzzo – Francopresse
Dans un Point de vue économique publié par Desjardins cet été, l’économiste Marc-Antoine Dumont se penche sur l’inflation verte, un phénomène qu’il définit en entrevue comme « l’inflation provenant du réchauffement climatique, donc notamment des catastrophes naturelles qui peuvent détruire des champs […] et l’inflation qui vient des mesures pour la transition énergétique ».
À titre d’exemple, des sècheresses « sans précédent » ont eu de sérieuses conséquences pour les agriculteurs de l’Ouest canadien dans les dernières années. En 2021, certains témoignaient d’une perte de 30 à 50 % de leurs récoltes.
Cela n’est certainement pas étranger à la hausse des prix des produits de boulangerie, qui ont augmenté de 13,6 % en juillet 2022 par rapport à l’an dernier.
Marc-Antoine Dumont avertit toutefois qu’« en ce moment, pour l’inflation actuelle, c’est impossible de savoir qu’est-ce qui vient de la géopolitique, de la COVID ou encore de la sècheresse de l’an dernier […], mais certainement la sècheresse au Canada a un impact sur les prix ».
« C’est clair que le réchauffement climatique va amener des changements dans la façon dont l’économie fonctionne […] Ça va créer des débalancements qui vont devenir hors normes saisonnières », ajoute-t-il.
Un sondage Léger commandé par l’organisme québécois Équiterre a montré que 73 % des répondants sont d’ailleurs inquiets des répercussions des changements climatiques sur les fonds publics et sur leurs finances personnelles.
Synchroniser l’offre et la demande
Aymen Karoui, directeur méthodologie et recherche chez Morningstar Sustainalytics, note à titre personnel que « le fait de ne pas faire une transition écologique, de ne pas prendre les bonnes mesures » empirera la situation.
« La transition énergétique va aussi servir à réduire ce coût-là qui vient des dégâts immédiats causés par le climat », précise-t-il.
À son avis, « toutes les industries sont affectées d’une façon ou d’une autre » par les changements climatiques, comme le secteur des assurances qui risque d’augmenter les primes pour les habitations en bord de mer ou en zone inondable.
Pour combattre l’inflation verte, Marc-Antoine Dumont estime que les gouvernements doivent s’assurer de bien coordonner la transition énergétique, qui vise à terme à délaisser les énergies non renouvelables.
« On a un changement de composition de la demande : on arrête de consommer des biens et services polluants, on consomme maintenant des biens propres, et ce changement-là s’effectue quand même rapidement. L’offre peut avoir de la difficulté à suivre. Donc, l’idée est de garder un bon synchronisme entre les mouvements de la demande et les mouvements de l’offre », soutient l’économiste.
Selon lui, les gouvernements « peuvent jouer un rôle intéressant » parce qu’ils ont le pouvoir d’influencer à la fois l’offre et la demande.
« C’est dur de savoir quelle est la meilleure politique à adopter […] La transition énergétique, c’est très gros et vraiment complexe », nuance toutefois Marc-Antoine Dumont, qui estime qu’il est tout de même possible d’éviter «les pires variations de prix avec une inflation forte ».
Le cas type des voitures électriques
La vente de véhicules à essence sera interdite dès 2035 au Canada, mais les voitures électriques gagnent déjà beaucoup en popularité : plus de 26 000 ont été immatriculées au premier trimestre de 2022, soit une hausse de 50,5 % par rapport à la même période l’an dernier.
Dans un numéro de juin du Point de vue économique de Desjardins, Marc-Antoine Dumont souligne que cela crée une pression sur le lithium, un métal utilisé dans la fabrication de batteries « dont le prix a grimpé de plus de 600 % depuis le début de la pandémie ».
« L’incapacité de l’offre à suivre l’évolution de la demande, principalement pour les voitures électriques, est à l’origine de cette hausse fulgurante », écrit l’économiste.
En entrevue, il rappelle l’importance du synchronisme : « On sait que la demande pour le pétrole va baisser, mais il faut être en mesure d’avoir une offre suffisante le temps d’effectuer cette transition pour éviter de créer des pressions inflationnistes ».
« Si on met des bâtons dans les roues trop tôt et trop vite dans certains secteurs comme le pétrole, on pourrait se retrouver à créer des pénuries », avertit-il.
Attention à l’écoblanchiment dans le secteur financier
Aymen Karoui espère que les entreprises en viennent à voir la transition énergétique non pas comme des couts supplémentaires, mais comme « une opportunité ».
« Je pense qu’il y a un travail de sensibilisation et de pédagogie [à effectuer], d’expliquer c’est quoi les avantages aussi : si vous avez une croissance durable, si vous préservez votre écosystème, l’entreprise peut rester plus durablement dans son environnement », rappelle-t-il.
Il souligne la nécessité d’accompagner les entreprises dans le processus et de s’assurer de ne laisser personne derrière, « par exemple des agriculteurs à qui on dirait de ne pas utiliser de pesticides […] Après, s’ils font le dixième de leur récolte, est-ce que c’est viable économiquement? »
Il souhaiterait voir ce qu’il appelle une « transition juste », c’est-à-dire une transition « qui prend en considération les différentes classes sociales, les différents besoins des personnes […] et de faire que les industries évoluent de plus en plus ».
Le secteur financier n’échappe pas non plus à la vague verte, qui suscite de l’intérêt pour les produits intégrant des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
« Les produits financiers ne sont pas exemptés de cette tendance-là de contribuer à une économie plus verte, et en même temps concilier les valeurs [des consommateurs] avec un rendement », constate Aymen Karoui.
Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) avertissaient toutefois en janvier qu’à « mesure que le secteur des fonds d’investissement s’adapte à la demande en créant de nouveaux fonds et en intégrant les considérations entourant les ESG aux fonds existants, le risque d’“écoblanchiment”, soit lorsque l’information ou la publicité d’un fonds induit volontairement ou non les investisseurs en erreur au sujet des aspects liés aux facteurs ESG, s’en trouve augmenté ».
La difficulté demeure de classifier « ce qui est ESG et ce qui ne l’est pas » d’après Aymen Karoui, « mais ça n’empêche pas de commencer le débat, de commencer à prendre des mesures même si elles ne sont pas parfaites ».