DOSSIER —Au moment de la Confédération canadienne, en 1867, les gouvernements provinciaux tentent d’instaurer un régime scolaire universel. Dans une volonté d’intégration des immigrants venus peupler l’Ouest canadien, ils établissent l’anglais comme principale langue d’instruction. Les lois scolaires ont de lourdes conséquences pour les francophones. Des journaux et des associations naissent pour se porter à leur défense.
Andréanne Joly — Projet spécial
L’éducation accessible à tous existe déjà depuis le milieu du 19e siècle, en Occident. « Par le fait même, la responsabilité d’enseigner devient de plus en plus l’affaire de l’État et non de l’Église », soulignent les historiens Nicolas Landry et Nicole Lang dans leur « Histoire de l’Acadie ».
Or, au Canada, deux visions de l’éducation s’entrechoquent. Pour la communauté canadienne-française, l’école a une mission de culture spirituelle. En revanche, les anglophones perçoivent plutôt l’éducation comme séculière, complétée par l’instruction religieuse du dimanche.
Des écoles qui dérangent
Néanmoins, certaines écoles catholiques de langue française s’immiscent dans le système public qui se profile. D’autres choisissent la marge : ces écoles confessionnelles sont appelées les écoles «séparées».
Cette différence déplait. Dans sa « Brève histoire des Canadiens français », l’historien Yves Frenette l’illustre en citant le Mail de Toronto, en 1886 : « Les écoles [françaises] de Russell et de Prescott sont les foyers non seulement d’une langue étrangère, de sentiments étrangers […] et d’un peuple entièrement étranger. Le régime adopté dans les écoles empêche la jeune génération de s’élever au-dessus du niveau intellectuel de l’habitant moyen du Bas-Canada. »
Différentes mesures
L’historien Serge Dupuis explique que les provinces « souhaitent taire leurs différences culturelles ». Pour ce faire, elles mettent en place diverses mesures.
En Nouvelle-Écosse, la loi Tupper instaure en 1864 un système d’enseignement unilingue anglais et non confessionnel. En 1871, la loi King du Nouveau-Brunswick force les parents francophones à payer pour l’école privée pour faire scolariser leurs enfants en français en marge du système public. Le Moniteur acadien ne mâche pas ses mots. Les députés acadiens qui appuient la mesure ne sont rien de moins que des traîtres à la nation, selon le journal…
L’Ontario restreint l’usage du français dès 1885, mais la mesure qui entrainera la crise scolaire « la plus spectaculaire », selon l’historien Serge Dupuis, sera le Règlement XVII de 1912. Celui-ci oblige l’apprentissage de l’anglais dès l’entrée à l’école. Il permet l’usage du français comme langue d’enseignement et de communication pour les deux premières années du primaire, mais limite l’enseignement en français à une heure par jour dès la troisième année.
Ce Règlement suscite de vives réactions : désobéissance civile des institutrices, résistance des élèves, insubordination aux inspections scolaires, manifestations, ouverture d’écoles libres, poursuites en justice…
C’est dans ce contexte que nait Le Droit, journal de combat fondé en 1913 à Ottawa et dont la devise est claire : « L’avenir appartient à ceux qui luttent. »
« Quelle meilleure arme qu’un journal, un journal quotidien qui soit avant tout et par-dessus tout au service de la religion catholique, de la langue française et du droit égal pour tous. C’est là notre programme », écrit le père Charlebois, fondateur du Droit, dans la toute première édition du journal.
D’autres journaux de langue française au Canada protestent contre les mesures restreignant l’usage du français dans les écoles. C’est le cas du Moniteur acadien en 1871, du Patriote de l’Ouest, en 1922 et en 1928…
Des référents identitaires
Malgré quelques gains modestes en Ontario et en Atlantique, les communautés acadiennes et canadiennes-françaises sont résolument en condition de minorité à la fin des années 1920. « La gestion de la diversité linguistique signifiait, pour les minorités de langue française dans les provinces anglophones, l’obligation de se fondre dans l’homogénéité culturelle et linguistique anglo-saxonne », écrit Laurier Gareau.
Pour Marcel Martel et Martin Pâquet, les crises scolaires que traverseront les communautés de langue française en situation minoritaire deviennent des référents identitaires forts, voire des mythes fondateurs.