FRANCOPRESSE – On dit souvent au Canada que le hockey est comme une religion. Et parfois, il devient une « religion d’État ». C’est ainsi qu’on pourrait décrire l’atmosphère qui régnait il y a 50 ans lors de la Série du siècle, qui opposait pour la première fois l’élite du hockey de l’Union soviétique à celle du Canada afin de déterminer qui étaient les meilleurs hockeyeurs au monde!

Marc Poirier – Francopresse

L’affrontement était tellement mythique qu’on l’a baptisé la «Série du siècle», avant même que ledit siècle ne soit terminé. On avait deviné que rien ne pourrait égaler, au cours des 30 années suivantes, l’intensité et la passion suscitées par les huit matchs de la série, soit quatre au Canada et quatre en Union soviétique.

On a souvent raconté que, lors de la première séance d’entrainement des joueurs soviétiques, l’un de leurs entraineurs avait déclaré aux journalistes que ce serait une série amicale. « Nous sommes venus pour apprendre », avait-il prétendu.

Les premiers matchs allaient démontrer que les Soviétiques avaient peu de choses à apprendre et que la confrontation serait loin d’être amicale.

Les quatre premiers matchs, tous joués en sol canadien, se soldent par deux victoires pour l’URSS, un gain pour le Canada et un match nul. Le Canada vit alors un grand moment de déprime collective.

Le hockey, fleuron identitaire

Les partisans canadiens étaient tellement convaincus de la supériorité de leur équipe qu’ils ne s’attendaient à rien de moins qu’une victoire écrasante. On allait donner une sacrée leçon à ces communistes!

Car justement, il s’agissait ici bien plus qu’un évènement sportif. En raison du contexte international de l’époque, ce face-à-face en était un entre deux systèmes politiques, entre l’Est communiste, autoritaire, menaçant et l’Occident libre, capitaliste, ouvert sur le monde. Sauf, évidemment, cet « autre monde » qu’était l’univers soviétique…

On présentait aussi l’équipe canadienne comme un modèle du caractère multiethnique du Canada. D’abord, les effectifs incluaient plusieurs joueurs francophones avec les Québécois Yvan Cournoyer, Guy Lapointe, Serge Savard, Gilbert Perreault, Jean Ratelle et Rod Gilbert et avec le Franco-Ontarien Jean-Paul Parisé, originaire de Smooth Rock Falls.

Puis, il y avait notamment les frères Tony et Phil Espositio, de Sault Ste-Marie en Ontario, enfants d’immigrants italiens, les frères Pete et Frank Mahovlich, de Timmins en Ontario, fils d’immigrants croates, ainsi que Stan Mikita, de St. Catharines en Ontario, qui était né en Slovaquie.

Le fait d’avoir une telle équipe investie d’une «mission» a également suscité un sentiment nationaliste et collectif très fort.

Et ça allait très loin.

Un journaliste du Journal de Montréal fait un lien entre la campagne de Russie de Napoléon et cette « nouvelle guerre de Russie » qu’était selon lui la Série du siècle.

Le journaliste de la Gazette de Montréal, Ted Blackman, débute son article du 28 septembre 1972 en affirmant le plus sérieusement du monde que les Ontariens Ken Dryden et Frank Mahovlich (deux joueurs du Canadien de Montréal) avaient l’occasion de contribuer davantage à l’Occident qu’Henry Kissinger (alors secrétaire d’État du président américain Richard Nixon).

Pour plusieurs, cette série cimente la fierté et le sentiment d’appartenance au Canada. Certains y voient même une façon de contrer le mouvement indépendantiste québécois grandissant.

En effet, le lendemain du dernier match, le chroniqueur Charles Lynch écrivait qu’Yvan Cournoyer « a probablement davantage fait pour contrer le séparatisme que les centaines de discours de Claude Wagner [ancien ministre libéral provincial au Québec et alors député fédéral conservateur] ou [Pierre Elliot] Trudeau ».

Disons que… on y allait un peu fort.

Évidemment, l’émotion l’emportait sur la raison.

Il faudra remonter 55 ans en arrière pour retrouver un tel moment de fierté à l’égard de la nation canadienne. La victoire militaire canadienne la plus célèbre, survenue en avril 1917 sur la crête de Vimy lors de la Première Guerre mondiale, est en effet présentée comme un élément marquant de l’arrivée du Canada sur la scène internationalevoire comme l’épisode responsable de la naissance d’une nation.

Un suspense intenable jusqu’à la toute fin

Disons que le dénouement spectaculaire de la Série du siècle a contribué au mythe. Au huitième et décisif match, la série est à égalité, avec trois victoires de chaque côté et un match nul. Le Canada doit absolument gagner; un match nul donnerait la victoire aux Soviétiques, car ils avaient plus de points.

La tension est à son comble. On raconte que les autorités soviétiques, la veille de l’affrontement, avaient changé les trois arbitres et que les responsables canadiens, ulcérés, avaient finalement réussi à en désigner un.

Dès le début du match, des pénalités douteuses sont décernées à des joueurs du Canada, dont à Jean-Paul Parisé. Le Franco-Ontarien est tellement furieux qu’il perd le contrôle et semble vouloir frapper un arbitre avec son bâton. Il lance des obscénités à un arbitre et se fait expulser du match.

La suite de la partie tient tout le monde en haleine : égalité 1-1, puis 2-2, 3-3, puis c’est 5-3 pour les Soviétiques à la fin de la deuxième période.

Tableau indicateur lors du but gagnant du huitième match de la Série. (photo : Frank_Lennon, Bibliothèque et Archives Canada.)

En milieu de troisième période, Yvan Cournoyer égalise la marque. Mais le juge de but n’allume pas la lumière rouge. Alan Eagleson, grand promoteur de la série, est piqué au vif.

Il se rue vers la cabine de l’annonceur afin que celui-ci officialise le but. Sur sa lancée, il bouscule des policiers ou des soldats (selon les comptes rendus). Ceux-ci empoignent Eagleson pour le sortir de l’amphithéâtre, mais aussitôt Pete Mahovlich passe par-dessus la bande et donne des coups de bâtons aux policiers (ou soldats). Plusieurs autres joueurs du Canada s’en mêlent et arrachent carrément Eagleson des mains de ses assaillants. Ça ne s’invente pas…

Le but de Cournoyer est bon et vient créer l’égalité.

À la dernière minute de jeu, la série semble vouloir se terminer par un match nul, ce qui aurait donné la victoire aux Soviétiques.

C’est alors que le miracle survient. Phil Esposito envoie mollement la rondelle vers le gardien légendaire Vladislav Tretiak. Paul Henderson, l’un des meilleurs joueurs canadiens de la série, celui-là même qui a marqué les buts gagnants des 6e et 7e matchs, se relève d’une vilaine chute derrière les buts. Il récupère le tir d’Esposito qui vient de rebondir sur Tretiak et le lance à son tour vers le gardien soviétique, qui arrête la rondelle. Mais Tretiak n’arrive pas à maitriser le disque et permet un retour. Henderson prend le rebond, tire et… c’est le but!

Paul Henderson vient de marquer «le but du siècle!». Il reste 34 secondes au cadran. Au Canada, c’est l’euphorie d’un océan à l’autre.

L’intensité de l’émotion collective alors ressentie pour cet évènement sportif n’a probablement jamais été égalée au Canada depuis.

Et dire que, sans le but de Paul Henderson, l’histoire aurait été tout autre.