Les archives, qu’elles soient textuelles ou audiovisuelles, permettent de replonger
dans l’Histoire. Dans la quête de vérité et de réconciliation, elles peuvent servir de preuves, bien que cela ne soit parfois qu’un fragment du casse-tête. Janet La France et Sarah Story, du Centre du Patrimoine, parlent du rôle des archives et comment elles peuvent servir les communautés autochtones.
Par Morgane LEMÉE
Si l’on demande au Centre du Patrimoine d’accéder à des archives en lien avec les écoles résidentielles ou les communautés autochtones, Janet La France, directrice générale, le dit de prime abord : « Cette collection est énorme ». Elle continue de s’agrandir d’année en année, par des documents reçus de congrégations religieuses, surtout.
Sur la table, au milieu des étagères remplies d’archives du Centre du Patrimoine, quelques publications sans restrictions nous sont montrées. On peut voir des publications oblates, des documents en lien avec l’École industrielle de Saint-Boniface, et un album photo d’une école de Sandy Bay, du fonds des Sœurs de Saint-Joseph de Saint-Hyacinthe, datant de 1915.
Janet La France : « Ces photos identifient des institutrices, des professeurs, des activités dans les environs, mais rarement les enfants. C’est pour documenter leurs expériences. Des fois, on a des noms. Mais tu vas souvent trouver des mots très désuets qu’on n’utiliserait plus de nos jours. »
En effet, sous de nombreuses photos, on peut voir le terme « sauvages » pour décrire les personnes autochtones (voir photos en page 11). « C’était le mot courant utilisé par la francophones à cette époque-là. Ce serait inacceptable aujourd’hui. »
| Des fragments de vérité
Janet La France explique que les archives sont là pour donner un aperçu de l’époque, de l’histoire, mais tient à nuancer. « Les archives sont importantes, mais ce n’est pas toute l’histoire. Elles racontent seulement un aspect de l’histoire. C’est la voix du prêtre, de l’évêque ou de l’institutrice. On ne voit pas vraiment la voix de l’enfant ou des parents. Ces documents sont intéressants, mais on voit tout du biais du narrateur. Il faut approcher ça avec un peu de recul. »
Sans oublier le rôle essentiel des archives dans la quête de vérité. Janet La France : « En anglais on dit : archives are evidence. C’est vraiment ça. Ça nous donne des traces du passé que l’on peut prouver. Mais il n’y a pas une archive qui peut répondre à toutes les questions. C’est l’ensemble des archives qui aide à reconstituer le casse-tête de l’histoire. Pour remplir ce vide de l’histoire, il faut avoir les témoignages des survivants. L’histoire orale des Autochtones est très importante aussi. »
Reconstituer une partie de casse-tête de l’histoire, c’est le métier de Sarah Story, archiviste numérique au Centre du Patrimoine. La dimension autochtone a composé une grande partie de son programme d’études. Elle a d’ailleurs été examinatrice de documents en relation avec la Commission de vérité et réconciliation du Canada. « Tous les dossiers pertinents ont été identifiés comme des preuves, versés dans une base de données et archivés. Je ne faisais que réviser, pour un sous-traitant. Mais j’ai dû plonger en profondeur pour ce travail. On trouve des histoires sur ces systèmes coloniaux, les traumatismes et les atrocités qui en découlent, et souvent, il y a d’autres histoires derrière qui sont négligées.
« La recherche d’archives, ce n’est pas comme dans une bibliothèque. Les archives contiennent des fragments d’informations dispersés dans les collections. Il faut parfois des années pour rassembler des histoires. Vous pouvez facilement vous perdre. Cela prend du temps et des ressources pour comprendre les registres. Le défi est de disposer de suffisamment de contexte et d’informations pour relier les documents à leurs communautés. Dans de nombreux cas, nous avons des milliers de photos qui ne sont pas identifiées. C’est donc difficile de les partager avec les communautés et les familles documentées. Si on peut ne serait-ce qu’obtenir un lieu, on peut contacter une communauté et réunir les gens avec des photos qui documentent leurs familles, leurs communautés et leurs cultures. »
| Quand une photo se retrouve chez soi
Et parfois, les archives permettent de reconstruire une partie de l’histoire. De retrouver le fragment manquant. Un des fragments.
Le Centre du Patrimoine a mis la main sur des albums photos confectionnés par René Bélair, un Oblat. Janet La France explique qu’il était un aumônier de l’armée de l’air, qu’il ne travaillait donc pas dans les écoles, mais qu’il avait beaucoup travaillé dans des communautés autochtones du nord. Parmi ses albums disponibles au Centre du Patrimoine, deux d’entre eux sont remplis de photos de communautés inuites (voir photos). On peut lire sur une couverture : « ALBUM ESQUIMAUD, FAIT À CAP DORSET, 1949 @ 1951, René Bélair D.M.I. ».
En avril 2022, Sarah Story travaillait comme archiviste consultante pour le Nunavut Arctic College. Elle a décidé d’emmener avec elles des copies de ces photos, pour les montrer à un collègue sur place. Il se trouve que ce dernier connaissait quelqu’un originaire de Cape Dorset (ce village s’appelle maintenant
Kinngait, depuis février 2020). Tous deux sont donc allés montrer ces photos à Aksaqtunguaq « Aksa » Ashoona. Sarah Story : « Non seulement il s’agissait de photos de sa communauté, mais ces images montraient le campement de Peter Pitseolak, son défunt grand- père qui est un artiste et un photographe inuit bien connu. Elle s’est exclamée : C’est mon père! Et mon grand-père! »
Sarah s’arrête de parler pour retenir les larmes. Ce moment d’émotion a été très marquant. Elle reprend. « C’était le dernier camp traditionnel dans la région de sa communauté avant que les Inuits ne soient relogés de force dans des établissements permanents. Le lendemain, Aksa était à la radio communautaire pour parler de ces images. Elle téléphonait à ses tantes et à ses amis pour leur décrire les photos, leur dire qu’elle y voyait leurs proches. Ensemble, ils ont parlé non seulement des photos, mais aussi des souvenirs que celles-ci ramenaient. Aksa a également fourni des connaissances et des histoires précieuses sur la vie dans le campement qu’aucun chercheur non-inuit du Centre du patrimoine n’aurait pu fournir. »
Sur ces photos, toutes en noir et blanc, on voit beaucoup de personnes de communautés inuites. Dans de nombreux cas, leur nom au complet est écrit. Il y a des photos de la vie de tous les jours dans le campement des Inuits, et des photos d’activités traditionnelles, comme la chasse au phoque, par exemple. Il y a des photos de famille décrites par René Bélair.
Sarah Story explique davantage : « La relation entre les Inuits et les missionnaires est complexe. À première vue, la relation entre René Bélair, un Oblat, et les familles du campement de Pitseolak semble avoir été positive. Son surnom parmi les Inuits de Kinngait était Mikalu, ce qui signifie Le plus petit. Nous espérons en apprendre davantage sur cette relation lorsque les photos seront partagées avec les résidents de Kinngait. Aksa m’a dit que cela se ferait très bientôt.
« Ces photos sont des documents incroyables. Quand on a ces données visuelles, cela aide les communautés à se réapproprier des traditions et à les intégrer à nouveau. Il s’agit d’un sens très tangible de ce que les archives peuvent faire de bien dans les communautés et leur redonner. Elles permettent parfois de rassembler, en partie, les communautés. »
C’est le genre de travail que le Centre du Patrimoine souhaite faire davantage. Janet La France : « On est en train de travailler sur un projet avec la Winnipeg Foundation, pour lequel on va numériser une grande série de photos en lien avec des communautés autochtones et des écoles résidentielles. Le problème, c’est que les enfants ne sont souvent pas identifiés dans les photos. Le projet est de rendre ces photos accessibles en ligne, contacter des communautés pour demander de les regarder et peut-être identifier des gens ou des lieux, pour mieux contextualiser les archives, les décrire et les rendre accessibles à leurs communautés. »