Un dialogue a été ouvert entre le Centre national pour la vérité et la réconciliation (CNVR) et les archives des missionnaires Oblats de Marie Immaculée. L’archiviste en chef du CNVR, Raymond Frogner, poursuit son travail de sensibilisation à la préservation des archives.

Par Ophélie DOIREAU

Initiative de journalisme local – Réseau.Presse – La Liberté

Sur les 130 pensionnats autochtones qui ont existé au Canada entre 1831 et 1996, un total de 48 étaient administrés par les Oblats. La congrégation religieuse détient donc un nombre important d’archives de la longue époque des pensionnats autochtones.

Au début du mois de juillet, Raymond Frogner a reçu une invitation pour passer cinq jours dans les archives privées des Oblats de Marie Immaculée à leur maison générale à Rome.

Une invitation très rare, comme il le souligne. « Il y a un an, nous avons signé un accord
entre les deux organismes pour accélérer l’accès aux dossiers des pensionnats autochtones. Nous avons commencé des discussions et ces archives ont été mentionnées. J’ai posé beaucoup de questions et on m’a ensuite invité à venir les examiner, puisqu’elles n’existent qu’en format papier. Rien n’a été numérisé.

« Dans les archives de la maison générale oblate, il était concevable de trouver beaucoup plus de documents au sujet des pensionnats autochtones et spécifiquement concernant des enfants qui se trouvaient dans les pensionnats. »

Parmi la collection de documents, ce sont les photos qui ont retenu l’attention de l’archiviste en chef. « J’ai pu fouiller et examiner des documents dans la salle des archives. C’était un vrai travail de fourmi, impliquant beaucoup de petits détails. En cinq jours, c’est impossible de passer à travers tout.

« La plus grande découverte que j’ai faite, c’est une collection de plus de 8 000 photos en noir et blanc. Ces photos datent du début du 20e siècle. Sur certaines d’entre elles, on voit des enfants dans les pensionnats autochtones. »

Pour Raymond Frogner, il ne fait aucun doute que ces photos vont permettre d’avancer dans le travail de vérité et de réconciliation. « Certaines personnes vont pouvoir identifier les enfants sur les photos. Parce qu’on le sait, certains enfants ont disparu et on ne connaît pas la fin de leur histoire. Des familles vont pouvoir faire leur deuil et on va pouvoir raconter l’histoire de ces enfants. »

Pour Raymond Frogner, c’est à cette étape que son travail prend tout son sens.
« Il y a simplement une petite description au verso de la photo. Elle donne au moins le nom de l’endroit où la photo a été prise. Les communautés autochtones concernées vont pouvoir aider à identifier les enfants.

« Nous sommes à un chapitre très important dans l’histoire de notre pays. On vit un temps de grands changements. »

Numérisation des archives physiques

Après ces découvertes, Raymond Frogner a émis des recommandations aux Oblats. « Il faut numériser les documents pour qu’ils soient plus accessibles pour les chercheurs, pour les journalistes et pour les communautés autochtones. Je reconnais cependant qu’il s’agit d’archives privées. Alors c’est à eux de décider s’ils veulent ou non numériser les documents. »

Dans un communiqué de presse, les archivistes oblats et le CNVR annoncent qu’ils vont travailler de concert pour numériser et transférer des éléments identifiés à la suite de la première visite de Raymond Frogner. C’est en effet un travail minutieux qui attend les archivistes sur plusieurs documents. « Malheureusement, une personne a collé un papier au verso de chaque photo. Une initiative qui a abimé la photo au passage des décennies. Il faut se dire que pour la préservation d’une photo, il faut compter une quinzaine de minutes de travail, dépendant la détérioration de la photo. Alors 15 minutes multipliées par 8 000 photos, c’est un long travail. Surtout que le travail ne se termine pas là. Ensuite il faut compter l’accès à cette archive et sa contextualisation. Ce n’est pas parce qu’on a un document qu’on a une archive : une archive, ça se construit. »

Outre la question du temps, il y a celle de l’argent. Raymond Frogner indique que le gouvernement fédéral semble proactif sur cette question. « Il y a deux ans, le Centre a reçu un octroi de six millions $ pour travailler à la numérisation des documents. À l’avenir, il va nous falloir trouver encore suffisamment de fonds pour continuer ce travail. Le gouvernement fédéral est à l’écoute. Mais on se pose la question d’un changement de gouvernement fédéral. Il nous faut des engagements clairs de la part de tous les partis politiques. » 

Les Oblats ont déjà fourni plus de 40 000 documents dont 10 000 sont déjà numérisés. Il s’agit de 41 fiches journalières (codex) relatives à 16 pensionnats autochtones.

Le CNVR emploie plus de 15 archivistes et possède plus de quatre millions de documents.

Préservation des archives physiques

Raymond Frogner aborde aussi la question de la préservation des archives physiques. « On espère pouvoir construire un nouveau bâtiment, où nous pourrons stocker les archives de manière physique. Nous n’en sommes qu’au stade préliminaire, on discute de la forme, de ce qu’on imagine pour ce centre. Peut-être que dans cinq à dix ans, nous verrons un nouveau bâtiment pour le Centre national pour la vérité et la réconciliation, avec toutes les ressources adéquates pour préserver les documents. »

L’archiviste en chef souligne la fragilité des archives physiques. « Il faut des conditions particulières pour les documents, il faut une certaine température, un certain taux d’humidité. C’est un équipement coûteux. Donc il faut du temps pour préparer un projet pareil. »

Un défi qui permet à Raymond Frogner de souligner que la manière dont une société traite ses archives est révélatrice de ses valeurs. « Nous sommes ce que nous avons choisi de nous souvenir. Mais nous sommes aussi ce que nous avons choisi d’oublier. »