FRANCOPRESSE – L’économie actuelle ne facilite pas la vie des personnes au Canada qui peinent à suivre l’inflation. Augmenter le salaire minimum peut alléger leurs difficultés mais, de l’avis général, il en faudra plus pour reconnaitre les travailleurs à leur juste valeur.

Marianne Dépelteau – Francopresse

Le 1er octobre, le salaire minimum a augmenté dans six provinces pour tenter de pallier l’augmentation du cout de la vie.

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Saskatchewan : 11,81 $ à 13,00 $ de l’heure

Manitoba : 11,95 $ à 13,50 $ de l’heure

Ontario : 15,00 $ à 15,50 $ de l’heure

Nouveau-Brunswick : 12,75 $ à 13,75 $ de l’heure

Terre-Neuve-et-Labrador : 13,20 $ à 13,70 $ de l’heure

Nouvelle-Écosse : 13,35 $ à 13,60 $ de l’heure

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Joseph Marchand est professeur d’économie à l’Université d’Alberta et ancien président du Minimum Wage Expert Panel du gouvernement de l’Alberta. Il croit que le moment est bien choisi pour augmenter le salaire minimum, car les prix sont à la hausse et la demande de main-d’œuvre est en expansion.

Joseph Marchand est professeur d’économie à l’Université d’Alberta. (Photo : New Light Photography)

Statistique Canada rapporte actuellement que 44 % des entreprises canadiennes doivent composer avec une pénurie de main-d’œuvre, et que le taux de chômage se situe à 5,4 %.

« Quand les prix augmentent, le salaire minimum peut augmenter, explique l’économiste. Tu ne veux pas l’augmenter quand la demande de main-d’œuvre baisse […] ça entraine des pertes d’emplois, moins d’heures ou une combinaison des deux. »

En aout 2022, Statistique Canada enregistrait une augmentation de l’indice des prix à la consommation de 7,0 % dans la dernière année, tandis que le salaire minimum ne s’est accru que de 5,4 %.

David Gray, professeur titulaire de science économique à l’Université d’Ottawa, rappelle que ce chiffre « reflète les salaires de tout le monde, pas seulement de ceux qui touchent le salaire minimum ».

Selon lui, pour contrer « la pénurie de main-d’œuvre et les lacunes sur le marché du travail, [le meilleur remède] est que les entreprises relèvent leurs salaires elles-mêmes ».

Les plus petites entreprises ont souvent plus de difficultés à hausser les salaires. « Elles essaient d’augmenter leurs prix, mais ce n’est pas toujours possible : ça dépend de la situation du marché. C’est possible qu’elles coupent les effectifs légèrement. »

David Gray est professeur titulaire de science économique à l’Université d’Ottawa. (Photo : Gracieuseté)

Les femmes au salaire minimum

L’inégalité hommes-femmes persiste sur le plan salarial : en 2021, les femmes gagnaient 89 cents pour chaque dollar gagné par les hommes, et ce, même si elles sont désormais plus nombreuses que les hommes à faire des études postsecondaires.

Selon Statistique Canada, de 1998 à 2018, environ 60 % des travailleuses au salaire minimum étaient des femmes, ce qui préoccupe l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne (AFFC).

« Quand on vit à salaire minimum, qu’on a déjà du mal à joindre les deux bouts et que tout a augmenté, qu’en est-il de la réalité présentement de ces femmes? Ça nous inquiète », commente la directrice générale de l’organisme, Soukaina Boutiyeb.

D’après elle, la pandémie a rappelé à tous l’importance des emplois payés au salaire minimum : « C’est important de dire que ce sont des emplois essentiels à notre société. […] Ces emplois doivent être payés à leur juste valeur. »

Soukaina Boutiyeb est la directrice générale de l’Alliance des femmes de la francophonie canadienne. (Photo : Gracieuseté AFFC)

Elle met en lumière la nécessité d’un changement systémique des mentalités à l’égard de la rémunération des femmes. S’il y a plus de femmes qui occupent des emplois faiblement rémunérés, c’est que « dès un bas âge, on nous explique qu’[il faut faire] la cuisine, être une personne aidante, dans des services de soutien, etc., c’est ce qui est “naturellement féminin” ».

L’écart salarial entre les hommes et les femmes « ne prend pas en considération quand on a une double minorisation, une triple minorisation, une quadruple minorisation, ajoute Soukaina Boutiyeb. Une femme francophone racisée a beaucoup de misère à avoir un salaire qui est adéquat par rapport à une femme blanche [ou] un homme blanc ».

Les jeunes s’appauvrissent

Les emplois payés au salaire minimum sont surtout ceux qui n’exigent pas de diplôme et qui sont occupés par des jeunes. Pourtant, plusieurs de ces personnes doivent avoir une autonomie financière.

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En 2018, les jeunes de 15 à 24 ans représentaient 52,3 % des travailleurs au salaire minimum.

En moyenne, les jeunes de 15 à 29 ans doivent composer avec un déficit de 750 $ par mois en habitant dans les villes canadiennes, où se trouvent la plupart des établissements d’enseignement postsecondaire.

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« C’est un mythe que la vie ne coute pas cher quand tu es jeune », dit Marguerite Tölgyesi, présidente de la Fédération de la jeunesse canadienne-française.

Elle souligne qu’en plus du cout de la vie général, l’arrivée du mode d’études hybride a obligé plusieurs à faire des dépenses pour du matériel ou des services auxquels ils avaient accès gratuitement à la bibliothèque, comme des ordinateurs ou une connexion Internet à haute vitesse.

« Il faudrait commencer par rendre la scolarité gratuite, propose-t-elle. [La question financière] est probablement le plus gros poids sur les étudiants. En préparation aux études, les jeunes vont travailler pendant le secondaire et vont peut-être moins bien réussir. »

À l’heure actuelle, il semblerait que les travailleurs se trouvent en position avantageuse. Marguerite Tölgyesi estime que « la pénurie de main-d’œuvre est un bon moment pour négocier et pour apprendre à le faire. Quand tu es jeune, tu es tellement nerveux à l’entrevue que tu ne veux pas nécessairement négocier ton salaire ou les conditions de travail ».

Elle observe d’ailleurs de nouvelles tendances dans la façon d’envisager le travail par ses pairs, comme le mode hybride, les semaines de quatre jours et le phénomène du quiet quitting.

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Le quiet quitting, ou la démission silencieuse, est une nouvelle tendance qui encourage à faire le strict minimum au travail.

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Pour Marguerite Tölgyesi, c’est une façon de sortir de la « mentalité capitaliste axée sur la performance constante. […] Il faut qu’on rende le système plus flexible et accommodant à la réalité humaine, parce que ce n’est pas vrai qu’on est des machines de travail ».