Madeleine Basile fait partie des quelque 150 000 enfants qui ont fréquenté les pensionnats autochtones. Pendant près de 160 ans, ce système mis en place par le gouvernement fédéral et dirigé par les églises a participé aux différentes politiques d’assimilation et de destruction de l’identité des Autochtones. 

Par Ophélie DOIREAU

Initiative de journalisme local – Réseau.Presse – La Liberté

Madeleine Basile est originaire de la Première Nation Atikamekw de la communauté Wemotaci, qui se situe au Québec. Avant de partager des bribes de souvenirs de son passage au pensionnat autochtone de Pointe Bleue, elle se remémore son enfance. 

« Avant de vivre dans la communauté de Wemotaci avec mes grands-parents, je vivais dans la forêt avec ma famille. Nous fréquentions beaucoup le territoire, ce n’était pas rare que mon grand-père s’en aille pendant de longues périodes pour chasser du gros gibier. 

« Quand j’étais petite, nous vivions dans des tentes. J’aime parler de cette époque-là, avant le pensionnat. J’aime parler de ma petite enfance. Elle était très harmonieuse. » 

| Petite enfance 

« J’aimais jouer avec mes frères, soeurs, cousins et cousines tous ensemble. La vie de clan pouvait être composée de plusieurs familles. Il y avait de l’entraide et du partage. Quand quelqu’un tuait un orignal, chaque personne apportait un plat et chacun avait droit à un morceau. 

« Toute cette période est très claire dans ma tête. Ce sont mes grands-parents maternels qui m’ont élevée parce que mon père est décédé quand j’avais cinq ans. Il travaillait beaucoup, il bûchait beaucoup. 

« Nous pêchions, nous chassions, c’était une vie très structurée. Nous étions libres et en harmonie avec notre environnement. » 

À l’âge de six ans, la vie de Madeleine Basile bascule puisqu’elle est envoyée au pensionnat autochtone de Pointe Bleue. Le pensionnat a ouvert ses portes en octobre 1960. Il comprenait alors 11 classes académiques et deux classes dites terminales. Le pensionnat fermera ses portes en 1973 (1). « On est venu nous chercher début septembre avec un autobus, je me demandais ce qui se passait. Tout l’été, j’avais vu ma grand-mère nous faire des robes. Comme petite fille, j’étais contente d’avoir des nouvelles robes. 

« Il nous a fallu toute la journée pour arriver à Pointe Bleue près de Roberval. Je ne me souviens pas de tout. Mais je me souviens en arrivant que beaucoup d’enfants se sont mis à pleurer. J’ai commencé à pleurer également. Je me posais des questions. » 

Madeleine Basile marque un temps d’arrêt. Se remémorer cette partie de son histoire provoque en elle une vague d’émotions. Mais ce qui marque dans son récit, ce sont aussi les blocages dont sa mémoire fait preuve. « Je me rappelle de l’arrivée au pensionnat. Mais il y a un blocage en moi pour me rappeler de mes premiers jours dans le pensionnat. Je ne m’en souviens pas. 

« Ma grand-mère me disait sans cesse à quel point les cheveux, c’est sacré. Quelques jours après mon arrivée, ils m’ont coupé mes deux tresses. Je pleurais. Il y avait une montagne de cheveux à terre. C’était la première humiliation. Je n’ai jamais revu les robes que ma grand-mère m’avait faites. » 

Madeleine Basile a passé dix ans dans le pensionnat autochtone de Pointe Bleue. Cependant, la période des Fêtes était un moment de paix pour elle. « Ma famille travaillait fort toute l’année pour me payer un billet de train pour rentrer à la période des Fêtes tous les ans. Le gouvernement ne payait pas pour les enfants qui voulaient retourner auprès de leur famille durant les Fêtes. 

« Je retournais dans nos tentes, j’étais contente pendant ces moments de répit. 

« Il y avait des histoires où des familles avaient réussi à aller plus loin en forêt pour cacher leurs enfants afin d’éviter le pensionnat. Mai, la GRC menaçait les familles de ne plus distribuer de coupons pour les produits essentiels. » 

| Impacts intergénérationnels 

Sans entrer dans des détails, Madeleine Basile dépeint le portrait quotidien au pensionnat. « C’était une vie très réglementée. Il fallait se conformer. Quand ça ne marchait pas comme ils voulaient, il y avait des punitions. Moi, j’ai reçu quelques coups de règle. Il y en a qui ont subi des agressions sexuelles. Les pensionnats ont été une épreuve horrible. Moi, dans ma famille […] » 

Madeleine Basile ne parvient pas à terminer sa phrase, l’émotion prend le dessus. Les traumatismes psychologiques, physiques et sexuels subis par les Autochtones dans les pensionnats ont laissé des séquelles pour les victimes directes mais aussi sur plusieurs générations. Madeleine Basile a quatre enfants dont elle est très fière. « Je sais qu’inconsciemment, j’ai transmis à mes enfants des impacts intergénérationnels. J’avais tellement de sentiments de honte, de colère, de rejet et d’humiliation. 

« Au pensionnat, la musique a été un vrai réconfort pour moi. Plus tard, je me suis dit qu’un de mes enfants devra jouer de la guitare. Mon fils Rémi travaille à l’UQAM et c’est un musicien. Samuel est ingénieur forestier, il est l’aîné. Plus tard, j’ai eu ma fille Sarah qui travaille à Québec et mon plus jeune, David. 

« Il y a des survivants qui ont des regrets. J’en ai. Mais mes enfants n’en sont pas un. » 

Sa relation avec ses enfants, elle l’a vue évoluer au fur et à mesure de sa guérison. 

« Quand je suis sortie du pensionnat, j’ai eu une grosse crise d’identité. Qui suis-je? Pourquoi ai-je vécu ça? Comment vais-je faire pour m’en remettre? Ça a été un long processus. J’ai suivi deux thérapies. La Fondation autochtone de guérison offrait des programmes de guérison fantastiques qui m’ont beaucoup aidée, surtout au niveau de ma gestion de la colère. » 

Avec la Semaine de la vérité et de la réconciliation et la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, Madeleine Basile chemine sur la signification du mot réconciliation.

« La réconciliation commence par soi-même. Il faut se réconcilier avec soi, avec sa famille. J’accepte et je m’accepte. Chaque individu doit trouver sa définition de la réconciliation. » 

« Selon moi, il faut se retrouver dans la réconciliation, se connecter à ce mot-là pour y trouver un sens. Mon souhait pour les survivants, c’est qu’on continue de se découvrir et de grandir. J’ai découvert beaucoup de choses sur moi. Avant, j’avais de la misère à parler de mes enfants alors qu’aujourd’hui, je suis très fière d’eux et je les aime beaucoup. »

(1) Pour en découvrir davantage sur le pensionnat autochtone Pointe Bleue : https://baladodecouverte.com/circuits/683/poi/8090/le-pensionnat-de-mashteuiatsh

(2) Le témoignage de Madeleine Basile est disponible sur : https://www.historicacanada.ca/fr/content/voices_from_here/madeleine-basile