FRANCOPRESSE – Afin de mesurer l’incidence de la philosophie du « par et pour » sur le développement personnel et professionnel des jeunes d’expression française, l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques a mené une étude auprès de personnes engagées au sein de la Fédération de la jeunesse canadienne-française. Son rapport vient confirmer la force d’un réseau minoritaire, mais uni.

Camille Langlade – Francopresse

Comment être jeune et francophone en situation minoritaire ?

Comme l’explique Marguerite Tölgyesi, présidente de la Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF), l’étude a permis de mettre des mots sur une réalité connue des membres de l’organisation, mais pas toujours bien cernée. « On prône déjà la philosophie du “par et pour”, mais beaucoup de personnes ne la connaissent pas. »

Marguerite Tölgyesi est la présidente de Fédération de la jeunesse canadienne-française. (Photo : Gracieuseté)

Qu’est-ce que la philosophie du « par et pour »?

« C’est l’idée de mettre la personne au centre des décisions, d’un processus, d’une activité et de faire en sorte qu’elle décide de ce qu’elle veut faire tout en lui donnant les moyens de le faire », explique Anne Robineau, chercheuse et directrice adjointe de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques (ICRML). Ainsi, la personne dispose des moyens aussi bien financiers que personnels d’agir. Certains mouvements vont par exemple mettre des jeunes au centre de leur structure de gouvernance.
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Au total, l’étude a dégagé 25 « impacts » sur les jeunes, à la fois dans les sphères professionnelles et personnelles. « Le “par et pour” développe la confiance des jeunes en eux-mêmes et en leur réseau. Ils voient aussi les adultes qui en sont sortis. Cela les inspire. C’est circulaire », se réjouit Marguerite Tölgyesi.

Cercle vertueux

L’étude note le fait de « briser l’isolement en tant que jeune minoritaire », le « développement d’un sentiment d’appartenance à la francophonie canadienne », le « désir de prendre part au débat sur les droits linguistiques » ou encore le « développement d’une plus grande sécurité linguistique ».

Pour Marguerite Tölgyesi, la philosophie du « par et pour » et la francophonie sont indissociables. « Il y a vraiment beaucoup de jeunes qui disent que leur réseau leur a permis de garder la langue, car c’est un des seuls endroits où ils peuvent vivre leur français sans jugement. »

Elle ajoute qu’au « niveau professionnel, cela amène à avoir une plus grande confiance en soi. On a l’opportunité de connaitre un réseau francophone beaucoup plus en profondeur, de rencontrer des dirigeants d’organismes, des politiques. C’est un gros apprentissage de savoir qu’il y a des francophones partout au Canada ».

Les réseaux francophones s’appuient précisément sur cette philosophie, rappelle Anne Robineau, qui a participé à la réalisation de cette étude. « Quand on est en milieu minoritaire, il faut trouver beaucoup de ressources pour assurer la vitalité et le développement de la communauté. On est obligé d’avoir ce discours sur le “par et pour” afin de s’autogérer et prendre des décisions pour soi-même. »

Pour appuyer ses propos, la chercheuse mentionne d’ailleurs l’exemple des écoles françaises en contexte minoritaire, qui ont aspiré à l’autogestion, c’est-à-dire à une gestion « par et pour » la communauté francophone.

Anne Robineau a participé à la réalisation de l’étude. Elle est chercheuse et directrice adjointe de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques. (Photo : Gracieuseté)

Sortir de l’isolement

La prise de conscience qu’amène la philosophie du « par et pour » permet également de briser un certain isolement.

« Il y a des gens très isolés, qui ne peuvent pas avoir d’activité en français, remarque Anne Robineau. S’impliquer dans le réseau [de la FJCF] leur a permis de participer à des activités à l’extérieur de chez eux, parfois en dehors de leur province et de développer un sentiment d’appartenance à la communauté francophone. »

Selon la chercheuse, « l’idée c’est d’avoir une voix dans cette communauté et de défendre l’identité francophone. »

Méthodologie

L’étude de l’ICRML a été réalisée à partir d’un sondage mené entre décembre 2020 et janvier 2021 auprès de 158 personnes actuellement engagées dans le réseau jeunesse ou qui l’ont été depuis sa création, il y a bientôt 50 ans. Des groupes de discussion ont également été organisés auprès de la FJCF et de ses onze organisations membres, et une trentaine d’entretiens individuels ont été menés auprès de personnes marquantes du réseau jeunesse.

Pour Anne Robineau, cette étude trace un portrait favorable de la jeunesse actuelle. « On entend parfois dire que les jeunes ne sont pas impliqués, qu’ils ne s’intéressent [à rien]. Là, on voit que grâce au réseau, certains ont stimulé leur fibre de l’engagement. Cela leur a donné des ailes. »

Des défis à relever

Derrière ces constats positifs, le rapport n’oublie pas d’évoquer les défis que rencontre la FJCF, à commencer par le tokénisme (ou la diversité de façade). Autrement dit, il s’agit pour un groupe ou un organisme de vouloir inclure des personnes des minorités (ici des jeunes) afin de se dire inclusif ou plus inclusif, « pour cocher une case », résume Marguerite Tölgyesi.

« C’est aussi un défi pour les adultes d’imaginer qu’un jeune peut apporter une véritable contribution à la discussion et à la prise de décision. Même à l’intérieur des communautés francophones, il y a parfois une hiérarchie entre les générations », regrette Anne Robineau.

L’environnement et l’inclusion font également partie des préoccupations citées par les participants et participantes à l’étude. « Ce n’est pas toujours évident d’inclure des personnes qui viennent d’arriver sur le territoire. Il peut y avoir un défaut au niveau de la diffusion, note la directrice adjointe de l’ICRML. Pour des parents qui ont déjà participé au réseau jeunesse, c’est plus facile de partager cela avec leurs enfants. »

Parmi les autres difficultés soulignées par le rapport, il y a le sentiment que ce sont toujours les mêmes personnes qui sont sollicitées. « Dans certaines petites communautés, on n’a tellement pas assez de monde qui vont s’impliquer que ça va toujours tomber sur le ou la même jeune, car il n’y a personne d’autre. Cette pression peut conduire à une forme d’épuisement », remarque Marguerite Tölgyesi. Mais la présidente se veut extrêmement positive pour les années à venir.